Les Castagnettes de Carmen # 39

Moïse et Pharaon à l’Opéra de Lyon du 20 janvier au 1er février

Moïse et Pharaon, créé en 1827, est plutôt un opéra à l’ancienne. Un thème résolument biblique — son sous-titre est « le passage de la mer Rouge » — que vient compléter une histoire d’amour contrariée, sorte de version vétérotestamentaire de Roméo et Juliette : la Juive Anaï, sœur du prophète Moïse, et l’Égyptien Aménophis, fils de Pharaon, s’aiment mais leurs religions s’opposent, ce qui donne lieu à des solos et duos tout à fait déchirants, rappelant s’il en était besoin que Rossini est un des maîtres du bel canto.

scène de Moïse et pharaon divisée en deux : réfugiés juifs côté jardin et gouvernement de Pharaon côté cour

Donner de la modernité à une telle œuvre relevait de la gageure mais le metteur en scène Tobias Kratzer y parvient avec intelligence. Celui-ci avait déjà prouvé en 2019, avec son Guillaume Tell du même Rossini (dont la trame narrative est d’ailleurs proche), sa capacité à actualiser des œuvres du patrimoine en les politisant. L’allusion au monde contemporain est cette fois beaucoup plus explicite : les Hébreux emmenés par Moïse (Michele Pertusi) sont des réfugiés parqués dans des camps et l’entourage de Pharaon (Alex Esposito) n’importe quel gouvernement cynique et répressif.

Des amours vétérotestamentaires contrariés

Le premier acte se déroule sur une scène coupée en deux pour mieux représenter l’opposition entre Juifs et Égyptiens, tentes du camp de réfugiés côté jardin, palais luxueux où évoluent des élites en costume côté cour. Et lorsque les seconds font une apparition chez les premiers, c’est soit sous la forme du secours humanitaire — incarné par Aménophis (Ruzil Gatin) déchiré entre haine des juifs et amour d’Anaï —, soit de la brutale intervention policière. L’épisode final du passage de la mer Rouge par les tribus de Moïse ayant recouvré leur liberté ne pouvait manquer d’évoquer la tragédie contemporaine des bateaux de fortune tentant de traverser la Méditerranée.

Moïsé, vénère, engueule un CRSLa détresse des opprimés et la fatuité des puissants prennent une actualité très concrète via un usage pertinent de la vidéo (de la page FB de la futile princesse assyrienne aux images de catastrophes humanitaires sur une chaîne d’infos en continu). Moïse et Pharaon n’en reste pas moins, on l’a dit, un opéra à l’ancienne, avec des longueurs (certes bien intégré à la narration, le ballet ne méritait peut-être pas d’être conservé en entier) et une grandiloquence surannée (celle surtout inhérente au personnage de Moïse, seul à être en « costume d’époque »).

Heureusement, les morceaux de bravoure sont magnifiquement interprétés (mentions spéciales à Ekaterina Bakanova en Anaï et Vasilisa Berzhanskaya en Sinaïde), les chœurs puissants et la baguette de Daniele Rustioni comme toujours à l’aise avec le répertoire rossinien.

Carmen S.

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© Blandine Soulage