Sur un pas de Navaja

La danse, le répertoire et le hasard

A propos de Summerspace et Exchange à l’Opéra de Lyon les 9, 10 et 11 novembre

Il y a des pièces de répertoire que l’on pourrait voir et revoir plusieurs fois encore. Peu importe qu’elles soient anciennes, que leurs esthétiques soient trop perceptibles, que les pointes marquent le maintien d’une technique classique ou alors que le style trahisse une autre époque, car ce qui fait la pièce de répertoire c’est justement que, malgré le temps passé, elle continue à faire écho à notre temps en nous procurant des émotions. Car finalement, aussi important soit le chorégraphe pour son temps, que nous reste-t-il de ses pièces si, quelques décennies plus tard, aucune émotion ne s’en dégage ?

Toutes les pièces de Merce Cunningham n’ont pas la force du temps, ou du moins certaines commencent à vieillir notablement, c’est le cas de Summerspace, entrée de longue date au répertoire du ballet de l’Opéra de Lyon. Les danseurs ne sont certes pas à incriminer, leur danse est impeccablement maîtrisée, et ce d’autant plus que la danse de Merce Cunnigham n’est pas facile à réaliser tant elle engage une maîtrise parfaite des pas classiques détournés de leur finalité habituelle pour engager le danseur dans une voie abstraite, aux multiples changements de direction. Ce n’est pas non plus le choix du chorégraphe qui est en question, Merce Cunnigham étant incontestablement une figure majeure de la danse américaine postmoderne et un chorégraphe qui a toute sa place dans un répertoire de ballet, tel que celui de Lyon. C’est plutôt la question du choix de la pièce. Toutes les pièces d’un chorégraphe connu méritent-elles d’entrer au répertoire ? A mon avis, non. Certes, Summerspace présentée pour la première fois en 1958 a marqué une époque, celle du passage de la modern danse alors en vogue aux Etats-Unis vers la danse postmoderne, dont Cunningham devient alors le principal représentant, mais cela n’est pas suffisant. Si elle est significative pour l’histoire de la danse, elle reste engluée dans une époque qu’elle a du mal à transcender. La pièce semble aujourd’hui interminable, les costumes – assortis au décor – sont à la limite du ridicule, les pas de danse déroutants, la musique pénible.

Fils spirituel de la figure majeure de la modern danse, Martha Graham, pour laquelle il a un temps dansé, Cunningham est surtout connu pour être le chorégraphe du découplage entre musique et danse. Sous l’impulsion du compositeur John Cage qui l’accompagne dans son parcours vers l’abstraction, Cunningham pense ses pièces comme des parties déconnectées de tout récit narratif. Elles sont constituées de ce qu’il appelait des « faits de danse », qu’il assemble de manière aléatoire, laissant intervenir le hasard dans la chorégraphie. Dès lors la rencontre entre la danse, la musique, le décor et les costumes n’est pas le résultat d’un récit narratif construit mais plutôt le fruit d’une encontre inopinée, où l’assemblage ne prend sens qu’au dernier moment, le jour du spectacle. Heureusement, la deuxième pièce de la soirée, Exchange, récemment entrée au répertoire, ramène le spectateur dans une recherche chorégraphique qui, tout en étant typique du chorégraphe américain, reste tout de même plus facilement appréciable.

Marius Navaja

© Jaime Roque de la Cruz