Casquette vissée sur la tête, By Dav’ passe la porte flanqué, jolie surprise, de Ava, une jeune artiste qui a tracé ses premières phrases sur les murs à la naissance de l’année 2018. Elle, les Lyonnais vont la découvrir. Lui, ils le connaissent bien, ou du moins ses œuvres, graphiques et cinglantes. Car son visage, non : méfiant, attentif à protéger son anonymat, hostile aux démarches commerciales, By Dav’ est un pur qui se tient loin du monde.
Banksy, Goin… By Dav’
Comment By Dav’ est-il arrivé au street art ? Par la publicité et les affiches des années 50’. Graphiste de formation et de profession, By Dav’ aime le monde de l’image et le langage visuel dont il maîtrise les codes. « J’ai commencé à la fin des années 98’, avec Sunday school graffity, une asso montée avec des potes. Au départ, on faisait du dessin, des graffs assez techniques, mais nos chemins se sont séparés quand mes collègues se sont mis à faire des T-shirt ». Trop business pour lui.
Il découvre Goin, à la Demeure du chaos, mais aussi Banksy. Leur style et leur propos le marquent : « Il y avait cette dimension de justicier masqué ! Je me suis dit : ‘pourquoi pas’, j’ai eu envie de passer le pas, d’aller vers cette forme d’expression artistique forte qui vise à réveiller les consciences ». Il commence avec « Stop Wars », un premier pochoir qu’il pose en 2015 derrière la place Sathonay, dans le premier arrondissement de Lyon.
Droit dans le mur
S’il aime surprendre, comme avec le « Supercalifragilisticexpialidocious » de 14 mètres de long, inscrit sur le mur de l’esplanade de la Grande côté en janvier dernier (et aujourd’hui effacé), ou glisser des clins d’œil à d’autres artistes, comme ce « I hate Invader », adressé à Invader, il cherche d’abord à alerter le passant. Secouer une société abrutie de cachets, avec « Are you ready to be happy ? », une série de gélules de Prozac en plâtre moulé, souvent associées des images détournant les codes des publicités lénifiantes des années 50’ annonçant le bonheur par la consommation de masse. Changer les comportements, avec cette faucheuse triomphalement assise sur le dernier ours polaire, qui rappelle la fragilité de la faune, décimée par un développement insoutenable. Tourner en dérision les dictateurs de la planète, avec son « United colors of bande de cons », une frise assemblant les portraits de quelques personnalités politiques traités à la manière de Andy Warhol, ou son Donald (Trump) érigeant un mur, armé d’une truelle de maçon. « Pour moi, c’est important de faire passer des messages percutants ! » De fait, « ce sont des œuvres fortes », renchérit Ava qui a découvert le travail de By Dav’ avec « I fuck you, earth » : « Ce qu’il fait résonne avec l’actualité, il l’interprète, il la donne à voir, ce qui la rend encore plus frappante ». Il y aussi ce singe qui contemple à la façon de Hamlet le crâne d’un Trump que l’on reconnait à sa chevelure blonde. To be or not to be ? Il semble bien, dans l’œuvre, que l’espèce humaine ne soit plus, sans doute sous l’effet d’une bombe nucléaire, résultat d’un concours d’ego avec Kim Jong-un. Désormais, les singes, derniers occupants de la planète, contemplent nos restes.
L’art-drénaline
Si By Dav’ travaille au pochoir, c’est parce que ça va plus vite. Une donnée importante quand on risque en permanence de se faire prendre ! « Tu poses ton pochoir, tu scotches, tu passes un coup de bombe et hop ! ». Bien sûr, il y a une recherche d’adrénaline, mais le risque doit être minimisé à défaut d’être totalement maîtrisé. Le gros du travail se fait en amont. À la conception, à la découpe, il faut optimiser, prévoir les rabats s’il y a plusieurs couleurs, les fixer pour qu’ils se positionnent sans perte de temps. « J’ai plusieurs fois failli me faire serrer, là, tu cherches pas, tu lâches tout et tu te casses en courant ! ». S’il ne faut pas trop compter sur la compréhension de la maréchaussée, les réactions des propriétaires de murs sont parfois déroutantes ! « Un jour une dame arrive. Elle me dit : ‘Vous savez que vous êtes sur mon mur ? Vous savez qu’on paie pour nettoyer ?’ Et elle ajoute : ‘Par contre, c’est génial ce que vous faites ! Continuez !’ »
Quant à l’emplacement, il faut parfois du temps à By Dav’ pour déterminer celui qui sera idéal, et certains pochoirs sont encore dans ses tiroirs… Il évite les murs vierges et lisses, faciles à repeindre. Privilégie la vielle pierre, surface plus complexe à travailler, certes, mais qui assure une plus grande durée de vie à l’œuvre.
La rue, musée d’art éphémère
Comme le dit By Dav’ : « La ville est un musée à ciel ouvert, gratuit, qui permet de toucher tout le monde », et notamment, précise Ava, « des personnes qui ne l’auraient pas été par d’autres moyens ». En poussant la logique plus loin, la rue devient anti-musée ; là, l’expression artistique se porte au-devant du public quand les musées ou les galeries procèdent exactement de l’inverse. D’ailleurs, By Dav’ a pour l’instant refusé les propositions des galeries : « Je suis pas trop dans ce business-là et par définition, le street art doit rester dans la rue ».
Mais l’art urbain est aussi un art éphémère ! Certaines œuvres restent visibles des années, d’autres sont effacées en quelques semaines, voire quelques heures, comme ce dessin alertant contre la pédophilie – des mains jointes tenant un chapelet orné d’une tétine –, bombé sur le mur de l’église Saint-Georges. Pas trop frustrant de voir son travail barré, tagué, repeint, sablé ? « C’est le jeu. Il faut l’accepter. Le but, c’est que ça soit pris en photo, que ça circule sur les réseaux sociaux, que ça soit vu, que ça vive ». D’où l’importance stratégique de lieux dont la visibilité est la promesse de clichés que ramènerons chez eux des touristes du monde entier. Clic. Et By Dav’ se retrouve au Japon…
La rue, c’est aussi plus de proximité avec les œuvres, ce « qui permet aux passants de mieux se les approprier ». Et l’appropriation se fait, et parfois brutalement. Ava en a fait l’expérience, elle qui a retrouvé plusieurs de ses phrases barrées et complétées de propos insultants. Elle y voit la preuve que la rue est un espace d’expression vivant, la preuve aussi que ce qu’elle dit de la sexualité et du désir féminin fait débat et mérite d’être répété, y compris sur les murs.
Et à la fin tout le monde meurt quand même
À quoi tout cela sert-il ? Sans doute à rien, mais faut-il que cela serve à quelque chose ? S’il est volontiers provocateur, By Dav’ est aussi modeste. Il accepte l’étiquette d’artiste engagé parce qu’il défend des valeurs, mais il se fait peu d’illusions sur l’impact produit. Derrière la nécessité du geste artistique et le besoin de saisir une chance, fût-elle mince, de changer les choses, By Dav’ reste fataliste : « Si ça fait réfléchir un peu, c’est bien. Mais… on a beau faire des Cop’21, ça n’avance pas, pire, on est dans une période de non-retour. C’est plié ». C’est l’urgence de dire ce désespoir qui rend son travail à la fois touchant et percutant.