L’aventurier de l’archive perdue
Conservateur à la Bibliothèque nationale, chroniqueur au Matricule des Anges, éditeur (notamment de La Littérature sans estomac à l’Esprit des Péninsules), Éric Dussert, après avoir dirigé « l’Alambic », une collection de rééditions d’introuvables et de curiosa, poursuit son travail chez l’excellent éditeur L’Arbre Vengeur. Il sera présent au Livre en Pente samedi 12 octobre pour évoquer sa drôle d’activité et ses nombreuses inventions.
« Les textes, si on ne va pas les lire, ils ne vous sautent pas dessus.» Qu’on se le tienne pour dit : l’invention de la littérature (et, partant, de son histoire) est avant tout histoire d’effort. Se contenter du Lagarde & Michard ou du Laffont & Bompiani équivaut à accepter qu’il n’y ait que 2 % de femmes dans l’histoire de la littérature – quand bien même elles l’ont en bonne partie inventée – et bien peu d’auteurs détonants en général, la conservation étant par définition affaire de conservateurs sinon paresseux, peu anarchisants.
Aux esprits rudes peu enclins à se reposer sur les lauriers de la bien-pensance académique (ô les curieux hors-la-« nulliversité » !), il apparaît de toute première nécessité de défricher les broussailles de la littérature et de susciter cette espèce dite en voie d’extinction : les lecteurs. Prodiges prodigues, intercesseurs des marges, ces « orpailleurs à la ligne » sacrifient leur temps (et leur vue) à plus de clarté commune. De la même manière que le Collège de Pataphysique est né pour pallier l’absence de travaux sur Rimbaud, Lautréamont et Jarry, Éric Dussert – dans le sillage de Charles Nodier et Charles Monselet (Les Oubliés et les dédaignés) ou encore Raymond Queneau et André Blavier (L’Anthologie des Fous Littéraires) – explore les angles morts de la chose écrite, étudie les conditions de réception des œuvres et des auteurs, recrée la vie littéraire et les interactions entre les arts et les époques. Parmi ses marottes, citons les revues littéraires, les anthologies, le haïku, la littérature populaire, la littérature « brute », les mystifications littéraires, les utopies et les uchronies, la bibliographie littéraire (et ses recoins secrets), voire quelques grand(e)s-écrivains-en-devenir d’aujourd’hui…
Vers un autre corps littéraire
Grâce à cette patiente besogne, des auteurs négligés, enfin réédités, reprennent vie. Et l’histoire de la littérature de reprendre corps. Un corps autre. Ainsi, en 2013, Éric Dussert publie à La Table ronde Une Forêt Cachée, qui brosse le portrait de 156 écrivains dits mineurs. Cinq ans plus tard, Cachées par la forêt présente 138 femmes écrivains, elles qui furent longtemps cantonnées à la littérature pour enfants, aux manuels de bonnes manières, à la poésie et à la gynécologie – surtout pas d’impertinence ni de mots d’esprit ! L’occasion de (re)découvrir Christine de Pisan, Marguerite Audoux, Lil Boël, Rose Celli, Christiane Rochefort et tant d’autrices mises sous le tapis.
Loin des troupeaux imbéciles qui sacrifient toute lecture à l’actualité et pensent que « si ça se vend, c’est que ça plaît donc que c’est bon », Éric Dussert nous convie à gonfler la voile vers de nouveaux archipels et à reprendre langue, histoire et commune humanité. « La vie est trop courte pour s’embarrasser de petit bois. On ne bavarde pas, on parle. On n’essaye pas d’exister, on vit. C’est toute la différence entre Virginia Woolf ou Jack London et certains de nos aspirants « auteurs » qui en sont bien dépourvus, de hauteur ». Avis aux « âm-auteurs »…
Le Livre en Pente, samedi 12 octobre à partir de 18 heures 30.
Marco Jéru