La Cravate ou l’art des nœuds-nœuds politiques

La Cravate ou l’art des nœuds-nœuds politiques

En 2017, Bastien, vingt ans, fier d’être Picard et patriote, s’engage naturellement aux côtés du Front national pour aider le parti de Marine Le Pen et de Florian Philippot à remporter la campagne présidentielle. D’abord militant de base dévoué au tractage et au collage d’affiches, le jeune homme, aux côtés de son supérieur Nicolas à peine plus vieux que lui, évolue lentement au sein de l’appareil du parti jusqu’à envisager d’en devenir un des cadres. Mais qui veut aller loin ménage sa monture. Prétendre arriver vite conduit inéluctablement à la désillusion. Tout bon Français qu’il soit, Bastien reste étranger aux habitus des élites. Loin d’avoir eu l’heur d’hériter des codes et des manières adéquats pour se faufiler au sommet de sa hiérarchie, la jeune recrue, par ailleurs employée dans une salle de jeux où elle assouvit sa passion des laser games, se coltine un passé politiquement peu correct. Un passé que ne saurait en aucun cas digérer un parti entièrement occupé à exorciser ses vieux démons xénophobes et racistes…

Face à une arpète de la — a fortiori d’un bord manifestement différent du leur — il eût été tentant pour les réalisateurs de cravater leur sujet en lui serrant bien fort le nœud autour du cou. Fort heureusement, Étienne Chaillou et Mathias Théry, bien que jeunes eux-mêmes, ne sont tombés ni de la dernière pluie (ils ont déjà à leur actif La Sociologue et l’ourson à propos du mariage pour tous) ni dans le panneau de la facilité. À travers un habile dispositif narratif par lequel leur sujet acquiesce (ou non) à la relation de ses actions, ils travaillent, à la manière de subtils maïeuticiens, à accoucher de leur sujet en se gardant bien de le juger. En le confrontant à ses actes a posteriori, ils l’accompagnent dans la prise de conscience de son engagement, lui révèlent tant que faire se peut les hiatus inhérents à ses prises de position et l’amènent à livrer un passé chaotique jusqu’alors dissimulé.

Traçant une ligne quelque part entre Le Prince de Machiavel et L’Art de la guerre de Sun Tzu, sans faire l’économie ni de Bourdieu ni des préceptes de la psychanalyse (on pense à Pierre Carles dans Pas vu pas pris, allongé sur le divan et devenant analysant pour prendre du recul sur sa propre œuvre), les réalisateurs rappellent avec brio deux choses : la première, c’est que si le FN est l’ennemi politique, force est, en sus de se connaître soi-même, de le connaître pour l’affronter. La seconde, c’est que derrière les adhérents, il y a, sinon des victimes, des êtres avec des histoires et des logiques de pensée bien souvent mâtinées d’ignorance. Et c’est en les mettant face à leurs contradictions qu’on peut éventuellement les retourner. Pas en les jugeant pour les vouer aux gémonies. La sociologie est un sport de combat, certes, et le combat langage subtil…

Marco Jéru