Belle rencontre que nous a programmé le Théâtre de la Croix Rousse, « bluffante », sujet à polémique, évidemment ! Thierry Bordereau a réunit une distribution épatante, Marijke Bedleem qui m’impressionne toujours autant depuis le projet Tina. Le détonnant Raphaël Defour qui nous campe un Dom Juan remuant, moderne et mythique, antithèse de Bachelor, noceur, mais avec classe, être fascinant, rien n’est sacré mais sacrement bandant. Enfin un mec à qui j’offrirais le préservatif avant mon numéro de téléphone. ( « Merde je n’ai pas compris mais on est au théâtre ! » )
Il n’est pas inutile de le rappeler, si cette pièce a parfois été mythifiée, à l’origine, Molière écrit Dom Juan pour faire vivre son théâtre et sa troupe, après l’interdiction du Tartuffe en mai 1664 (en résumé pour du pognon). Thème à la mode, il rédige en prose et investit dans une machinerie exceptionnelle, des changements de décor à vue, des effets spéciaux. La pièce, représentée en février 1665, triomphe. Pourtant Molière ne la jouera plus jamais.
Qui est Dom Juan ? » Le séducteur, le fils indigne, le menteur « , » l’épouseur du genre humain » qui promet le mariage à toutes les femmes qu’il rencontre avant de les abandonner ? Cet enragé qui se moque de tout et de tout le monde, de Dieu comme du Diable ? Est-il l’incarnation du désir ? Ou de l’absence de désir ? »
Cessons le bla-bla et laissons Thierry Bordereau nous en parler : « Un mariage manqué, un type pour qui rien n’est sacré, et surtout pas la vie, une fuite à tombeau ouvert pour faire reculer la nuit au-delà de ses limites, des coups de feu, une statue qui marche. Des aventures de feu et de sang …. Entre désir en panne et pulsion de vie brutale, sexe, drogue et rock and roll, ça tangue fort au seuil de la vie qui s’avance. »
Critique violente de notre société de consommation, où le désir est roi ! Nous plongeons (avec l’aide de la scénographie déboussolante parfois) dans un monde où règne en maitre la dérive des êtres, la recherche du plaisir jusqu’à la perte de tous repères, la culture de la fête jusqu’à en être malade, l’amour jusqu’au dégoût, jusqu’à la violence. Nuit fauve de l’an 1664, ou fuite en avant, déjà évoquée par le dramaturge Jean-Baptiste Poquelin dans son texte originel. L’individu existe seul, trop seul.
Tourner délibérément le dos au fétichisme académique, à l’image de ce rassemblement autour d’une table de banquet sur fond de musique techno sortie des boomers d’une boite de nuit. Thierry Bordereau et la Plateforme Locus Solus dépouillent la pièce de son aspect classique, tout en maintenant la prose de Molière dans ce qu’elle a d’actuel. Ils nous permettent même le paradoxe de se l’approprier ! Véritable » dézinguage « , tel semble être le projet modestement appelé « Under ». Critique de l’institution du mariage ou critique de l’état moral de la société (en ces temps qui courent cela parait plutôt courageux).
Vous l’avez compris j’ai aimé. Beau pari du théâtre de la Croix Rousse de programmer ce moment underground.
Lyon : Théâtre de la Croix-Rousse : 7 au 11 janvier 2014 / Bourg-en-Bresse : 25, 26, 27 mars 2014 / Bron : 10 avril 2014