Jeanne d’Arc au bûcher d’Arthur Honegger, à l’Opéra du Lyon du 21 janvier au 3 février

Alors qu’approche le Tournoi des 6 nations, il est toujours bon de rappeler combien l’Anglois est foncièrement fourbe et méchant. La Pucelle de Domrémy en a fait en son temps la cuisante expérience, ce qui a donné matière à cette Jeanne d’Arc au bûcher mise en musique au début des années 40 par Arthur Honegger sur un livret de Paul Claudel, et que nous propose aujourd’hui l’Opéra de Lyon.

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Si cette production mérite indéniablement le détour, c’est avant tout pour la mise en scène de Romeo Castellucci (qui signe en outre les décors, les costumes et les lumières). Le texte de Claudel a beau ressasser Dieu et la France, ce n’est pas ce qui intéresse Castellucci, qui entreprend au contraire de débarrasser Jeanne d’Arc du lourd fardeau politique et religieux dont elle est surchargée. Les symboles attendus sont bien présents (une épée démesurée, un cheval, un balai de sorcière…) mais lorsqu’un tissu bleu-blanc-rouge fait son apparition, ses couleurs sont délavées comme pour mieux révoquer toute compromission nationaliste. La relecture que propose Castellucci s’appuie à l’inverse sur une singularisation extrême du personnage — pratiquement seul sur scène — qui passe par sa mise à nu — au sens propre comme figuré.

La représentation s’ouvre sur une salle de classe — car, sauf à être militant FN, que reste-t-il aujourd’hui de Jeanne d’Arc si ce n’est des souvenirs de cours d’histoire de primaire ? — que l’employé chargé de l’entretien vide de ses tables et chaises, balancées cul par dessus tête, en finissant par arracher du mur le tableau noir. La suite assiste à la lente métamorphose féminine de cet homme, en quelque sorte inverse à celle de Jeanne, jeune fille qui se verra reprocher par ses juges d’avoir adopté des vêtements masculins pour mener la guerre. Le directeur d’école, ou plutôt Frère Dominique (Denis Podalydès), vient faire au forcené/Jeanne (Audrey Bonnet) le récit de son procès, qu’elle a subi sans totalement en saisir le sens et les enjeux. Celui-ci est mené par des animaux, avec Porcus (référence à l’abbé Cauchon, wouaf !) pour président, et raconte cruellement comment Jeanne a été le jouet de forces politiques cyniques.

rsz_operajeanneaubucher37_copyrightstofleth_0Les voix des juges — les seules chantées, avec les chœurs et, bien sûr, celles de sainte Marguerite et de sainte Catherine entendues par Jeanne à Domrémy — ne sont pas présentes sur scène. Le centre de celle-ci, on l’a dit, est occupé du début à la fin par Jeanne, seule ou presque. C’est à une interprétation impressionnante que se livre Audrey Bonnet qui, tout au long de la représentation, se transforme, se dénude, se couvre de peinture, de farine, d’eau, de terre, creuse inlassablement le sol jusqu’au trépas. Seule réserve devant une performance qui impose le respect, une voix parfois trop faible pour ne pas être couverte par l’orchestre.

L’orchestre, précisément, sait parfaitement rendre la dimension tour à tour puissante et recueillie de la partition d’Honegger, cela grâce à la direction une nouvelle fois impeccable de Kazushi Ono.

Un spectacle qu’on n’oubliera pas de sitôt, parmi les plus marquants qu’ait proposé l’Opéra de Lyon depuis plusieurs années.

Carmen S.

 

© Stofleth