[Bring The NoiZe : une rubrique discophile récurrente mais à périodicité totalement aléatoire ; on y parle de disques plus ou moins obscurs (mais pas toujours) et publiés pour la plupart par des micro labels tenus par des passionnés enthousiastes et dévoués (mais pas seulement) ; alors autant dire que la seule règle de conduite suivie ici est celle de la subjectivité voire de la mauvaise foi… ce qui signifie également que la meilleure façon de découvrir des musiques, des groupes et leurs disques, c’est d’aller les écouter et de se faire une opinion par soi-même]
Allez, l’année 2016 a à peine commencé – mais on sait déjà qu’elle va être au moins aussi merdique que les précédentes – et il est peut-être enfin temps de rattraper un peu de mon retard, parce que oui j’étais légèrement trop occupé l’année dernière pour parler de tout ça : ce Bring The NoiZe #14 va donc causer de quelques disques publiés pendant 2015 voire 2014 et qui alors ont fait plus qu’éclairer les ténèbres ambiantes. Sans perdre de vue qu’il n’y a pas que la musique dans la vie. Mais que ça aide quand même énormément.
Voilà un groupe qui aime lambiner. Diät avait précédemment enregistré deux excellents singles (en 2012 et en 2013) et puis plus rien. Vous me direz il n’y a que celles et ceux qui ne font pas de musique et qui passent leur temps au bar pendant les concerts qui s’impatientent pour pas grand chose, ils ne savent pas ce que c’est, eux, que de se faire chier dans une cave ou un garage. Positive Energy est ainsi le premier LP – publié par Adagio 830 et Iron Lung – de Diät, un groupe originaire d’Australie mais basé à Berlin. Le nom du disque est totalement pourri, la pochette est vraiment über moche mais cet album est un petit bijou magnifiquement ciselé de post punk énervé. Oui c’est bourré de clichés, de trucs que l’on a déjà pu entendre mille fois auparavant mais il n’empêche que Positive Energy pourrait être un modèle du genre et surtout voilà un disque qui fait fi de l’âge du capitaine et traverse les modes sans flancher. On peut penser à Warsaw et au Joy Division des débuts, on peut rajouter une couche de Crisis si on veut mais Diät semble s’en foutre. Pour avoir attendu aussi longtemps le groupe s’est sûrement appliqué mais il ne s’est pas efforcé d’imiter, il a juste su insuffler toute la détermination et toute la hargne qu’il faut à des compositions troussées magistralement. Huit titres, huit tubes – un point c’est tout.
Par contre Cuntz n’en est pas à son coup d’essai puisque Force The Zone est déjà le troisième album de ces australiens (Melbourne). Un disque, si c’était encore possible, plus rentre-dedans, en tous les cas plus vicieux et plus décapant que ces deux prédécesseurs Aloha et Solid Mates (parus en 2013 – le tout, y compris Force The Zone, est disponible chez Homeless records). Là non plus il ne s’agit pas de faire la révolution uniquement pour les copines et les copains mais de se réapproprier une musique toujours bien vivante et qui a toujours des choses à dire. Pourtant Cuntz n’est pas du genre extrêmement bavard avec ses compositions qui tiennent souvent à pas grand-chose : une poignée de (très) bons riffs, des rythmiques sèches, un saupoudrage vraiment léger et sporadique de synthétiseur (Tired) et un chant ce qu’il faut d’écorché et d’arrogant. Le résultat n’est jamais froid – pas comme chez Diät –, sautillard même et donne rapidement de bonnes suées. Et puis il y a des titres comme Factory Floor et surtout Grill qui tirent sur la longueur, contrastent avec les éjaculations punks et installent des atmosphères poisseuses et gluantes, des moments qui font comprendre que même lorsque Cuntz met par ailleurs le turbo (Chinese Dream Boat, Mould), c’est finalement de crasse et d’égouts à ciel ouvert dont il est toujours question ici. Cuntz – j’adore ce nom – est un groupe à découvrir absolument.
Toujours chez Homeless, voici le tout premier album de Shovels (encore des australiens) paru à la mi-2014 – parce que, je le répète, il n’est jamais trop tard pour en parler, hein. Shovels n’est cependant pas un groupe de pauvres débutants puisque ses trois membres jouaient déjà auparavant tous ensembles sous un autre nom. Et cela s’entend : ce premier album sans titre est foutrement abouti derrière, là aussi, ses airs immémoriaux de post punk gnagnagna. Mais le groupe va de l’avant et surtout, privilégie une certaine finesse voire une fragilité tout doucement fébrile (Car Yards). Chez Shovels, tout est dans les détails, dans cette mise en place impeccable, cette rigueur pourtant jamais envahissante, cette mélancolie qui ne gâche pas tout parce qu’elle n’a rien de forcé, cette énergie à la fois tranquille et implacable. Je connais plus d’un groupe de baltringues qui essaient désespérément de prendre des grands airs et d’avoir quelque chose à dire d’intéressant et Shovels c’est un peu tout l’inverse : une humilité contagieuse et une tension intériorisée mais palpable qui trouvent leur aboutissement dans des compositions aussi superbes qu’émouvantes.
L’humilité et la retenue, voilà deux choses que les Wailin Storms ne semblent pas connaître du tout. Et l’écoute de One Foot In The Flesh Grave (chez Magic Bullet) laisse entrevoir ce que j’appellerais sans hésiter une seule seconde de la grandiloquence voire de la démesure. Avec un goût bien affiché et conquérant pour la théâtralité et le drame. Mais on a de la classe ou on n’en a pas du tout et, dans le cas de Wailin Storms, c’est de grande classe dont il s’agit, tout simplement. Et je peux tout pardonner à ce groupe américain (Caroline du Nord), y compris sa fureur envahissante et ses manières de chevalier noir. Parce que rien que Don’t Forget The Sun est l’une des plus belles ouvertures d’album qu’il m’ait été donnée d’écouter ces dernières années. Et puis j’y vais carrément : One Foot In The Flesh Grave est l’un de mes albums préférés de 2015. Amateurs du Gun Club, de swamp, de gothic punk et autres conneries non étiquetables, ce disque est fait pour vous. Un album où il n’y a rien à jeter (sept titres seulement mais quels titres !), un album d’une intensité rare, habité, fulgurant, foudroyant et d’une beauté éclatante. Mystery Girl, Walk, Lost, Light As A Feather, Stiff As A Board…. les titres s’enchainent et provoquent inexorablement l’envoutement. Un disque qu’il m’est toujours très difficile de ne pas écouter plusieurs fois de suite dès que je le pose sur la platine. Comme une drogue. Comme une passion dévorante. Finalement l’année 2015 n’aura pas été totalement pourrie.
Hazam.