Zébrées lectrices, zélés lecteurs, merci d’être attentifs, ensemble, au message à caractère informatif suivant : un tsunami éditorial est signalé à l’approche du continent Livre. Créées par Florian et Yves Torrès, deux frères vivant à Lyon et à Marseille, les éditions du Typhon nous invitent, sous l’égide de Joseph Conrad, à plonger dans l’œil du cyclone d’une littérature traversée de souffles puissants. Pour inaugurer son catalogue, trois romans de la Nouvelle Vague anglaise des 50’s, les angry young men, paraissent coup sur coup : Hurry on down et Frappe le père à mort de John Wain, et Billy le menteur de Keith Waterhouse. Une soirée de présentation agrémentée d’une séance de cinéma vous attend à l’Aquarium le 13 novembre…
Contemporains des beats aux États-Unis et des mods en leur pays, « cousins de gauche » des hussards français, les angry young men (« jeunes gens en colère ») désignent un groupe d’auteurs apparus dans les années 50. Ils s’appellent John Osborne, John Braine, Kingsley Amis, Alan Sillitoe, Keith Waterhouse, John Wain. Créateurs de beautiful losers préfigurant les working class heroes chers aux Kinks et au free cinema bien avant les punks, ces jeunes gens, à l’instar de Malcom McDowell dans le film If, sont en rupture avec l’intellectualisme et l’élitisme universitaire dont Oxford et Cambridge sont les emblèmes. Réfutant les idéologies aussi bien communiste que libérale, ils utilisent une langue moderne, simple et directe, loin du style ampoulé de « l’art pour l’art ». Anticipant les films de Ken Loach ou les romans de Ian McEwan, leurs héros sont des rebelles sans cause issus souvent de milieux modestes. Mus par leur rejet des barrières sociales ou des conventions qui les entravent, ils portent sur la société et l’establishment un regard cynique et désabusé.
Charles Lumley, dans Hurry and down, dérive après l’université de petit métier en petit métier, à la recherche d’une classe sociale qu’il ne trouve pas ou qui l’étouffe ; il cherchera finalement à rester en terrain neutre, à voyager sans passeport. Jeremy Coleman, dans Frappe le père à mort, devient jazzman au grand dam de son père, austère bourgeois professeur de grec, et de sa sœur, incapable de s’émanciper d’une oppression familiale digne des Poings dans les poches de Marco Bellocchio. Quant à Billy Fisher, dit le menteur, il vit chez ses parents dans une petite ville du Yorkshire, s’ennuie à mourir au travail (les Pompes Funèbres !) et, s’abandonnant à la rêverie et aux égarements amoureux, se met à développer une mythomanie désastreuse… Tous incarnent une génération de déclassés en porte-à-faux avec l’hypocrisie de classe, l’oppression familiale, le miroir aux alouettes de la réussite, réduits soit à la fuite, soit au mensonge. Ces trois romans inaugurent la collection « Après la Tempête », dont l’ambition est de sonder les êtres après une période de conflit et de répondre à la question atemporelle : comment construire et se construire dans un monde sans horizon qui ne veut pas de vous ?
Au printemps prochain, l’éditeur étrennera sa deuxième collection, « Les Hallucinés », propice à la littérature dans ce qu’elle a de poétique besogne de soi, encline à lorgner vers le merveilleux et le fantastique. Ce sera l’occasion de redécouvrir un des monuments de la littérature caribéenne, Eltonsbrody d’Edgar Mittelhozer, un chef d’œuvre « anthropo-gothique », véritable plongée au cœur des ténèbres, entre folie et terreur. Car c’est aussi dans cet espace « lovecraftien » que se situe le projet des éditions du Typhon : proposer des textes d’auteurs du passé et d’aujourd’hui qui font vivre mille vies en une. Par la guerre sourde menée aux mots, ces œuvres ont la capacité d’ouvrir le réel, de décloisonner les discours imposés par les doctes et de réveiller les sources du désir – de la mélancolie à la joie – que l’esprit de sérieux, l’idéologie et la tentation du repli avaient asséchées. Ce qui lie ces collections est une volonté de faire dialoguer le présent et le passé autour d’une interrogation qui hante le monde : que faire des spectres et des fantômes ? Seule la littérature, par l’écriture, sait accueillir ces peurs nourries par notre propension à les refouler.
Les Éditions du Typhon nous rappellent justement que la littérature est un phœnix, un art de se consumer et de renaître de ses cendres, ainsi que le vaudou engendre et réveille le zombi. Nous souhaitons à l’éditeur naissant de faire tornade. Car nous croyons au négatif. Nous sommes des « machines désirantes » aux prises avec des flux irrationnels, nous affrontons notre part d’ombre et n’avons pas peur des spectres. De stress post-traumatiques en résiliences, ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts, nous nous relevons et avançons dans la lumière. Nous sommes la horde du contre-vent. Vive la tempête ! Et le calme après…
Marco Jéru