voila-voila-l-ecole-est-finie 1Putain, ça fait un drôle d’effet de se retrouver en classe, au collège en plus. Imaginez. Vous êtes là, en classe donc, un immense tableau noir vous attend, des radiateurs douillets, des fenêtres par lesquelles on s’enfuirait bien, des fenêtres longues, toutes en hauteur, par lesquelles on s’est d’ailleurs enfuie mille fois. La brune qu’on a croisée deux fois cette semaine, le derby Red star-Créteil, la sœur d’Hadji, cette cassette des Gladiators à chouraver à Tonio. Des lignes de joie, comme s’il en pleuvait… Et puis, non. On se retrouvait là, à glander, à oublier ce Louis machin, à faire semblant de comprendre la puissance de ce Du Bellay qui sent la crogne.
Bon, mais ce coup-ci, c’était vingt-cinq après. Les choses avaient un peu changé, vu qu’il n’y avait pas une chaise, pas une table et donc aucune gravure bleutée genre Kamel + Alex, pas de bureau avec un consciencieux dépressif. D’ailleurs, à la place, il y avait des flics. Il en fallait quatre pour remplacer un prof !
Donc la salle était vide, pis on était cinq, pis il y avait quatre flics.

Un horrible cri de terreur, le mien, m’a réveillé. J’étais en sueur, j’ai allumé la lumière, devinez quoi ? Il y avait un prof de math dans mon lit ! J’ai ouvert la fenêtre – il fait frais, je me suis dit – trois étages, pas moyen… J’ai beuglé un ’’au secours !’’ à un pauv’ Rom qui traînait par là. Il m’a jaugé quelques secondes avec un grand sourire, avant de poursuivre sa route.

Nan, je rigole, c’était pas un cauchemar.
Rassurez-vous, j’étais bien dans cette salle de classe avec des flics, polis en plus. Et puis les fenêtres, ben ils ont bien voulu qu’on les ouvre pour fumer une clope et discuter avec tous ces gens dans la cour qui avaient envahi le Collège Truffaut ( http://www.rue89lyon.fr/2013/12/18/enfants-la-rue-lyon-action-coup-de-poing-et-gaz-lacrymo-au-college-truffaut/). L’équation était simple : un immense collège vide, chauffé, pour un bout de temps – si on en croit l’histoire des lieux municipaux qui ont perdu leur affectation – et en face, des gens dehors pour la journée, dans des bagnoles, des cabanes de tissus ou des immeubles en chantier. Des gens, qu’en bavent, qu’aimeraient bien se taper un bon cauchemar dans un lit chaud, avec un lampe de chevet à allumer, y trouver des bras réconfortants, avec un verre d’eau et des ’’ça va aller, tranquille, tu veux qu’on se mette un dvd, pour penser à autre chose ?’’.
Suffisait de rajouter des signes et on l’aurait rempli ce tableau noir, avec un joli « égal » entre les deux.
Mais bon, pour les maths, c’était pas le jour, pas l’année… pas la décennie.
Pourtant, il y avait du monde pour penser le contraire. Des tas d’additionneurs. C’est fou tous ces gens qui ont le sens de la priorité, qui refusent une soi-disant complexité qui permet de paraître raisonnable. Une complexité à plusieurs signes, à trois bandes.

voila-voila-l-ecole-est-finie 2La raison, la complexité, on la croise rue de l’Annonciade , dans ces voitures embuées, au petit matin. C’est compliqué de passer devant. C’est pas trop raisonnable de se dire que c’est malheureusement compliqué. C’est pas si simple. C’est pas aussi simple que d’ouvrir le collège quand des associations sont prêtes à gérer, quand des habitants du quartier sont pour…

Oui mais voilà, il faut comprendre.

« Il faut comprendre l’appel du vide  » comme disait le flic poli, le quart de prof. « Ça, l’appel du vide, c’est simple. Si tu laisses crever l’étranger sur le trottoir, ben les autres, y z’y viennent pas. »

Il faut comprendre le représentant du pouvoir collombien qui nous explique sur le trottoir comment y faut y penser « il y a les vrais étrangers désespérés et puis il y a les faux. Par exemple, il y a le droit de l’hommiste sénégalais, heu… non pardon, là c’est une démocratie, alors disons, tiens de Centre-Afrique, et puis il y a le roublard du … ha ben voilà, du Sénégal, qui se fait passer pour un désespéré, tout ça pour profiter de notre accueil légendaire. Un fourbe prêt à se la couler douce dans un de nos collèges, au chaud, à cauchemarder tranquille, quoi ! »

Avec des machins compliqués comme ça à faire comprendre aux imbéciles, on peut finir directeur de campagne de Collomb, imaginez comme c’est puissant !

Quand l’école fut finie, quand nous eûmes quitté l’établissement, quand la foule se dispersa, nous échouâmes aux ’’Platanes’’ où Richard nous avait précédés. On l’aime bien Richard Rechtman, mais pour le coup il est vraiment trop complexe pour nous. Pensez, un anthropologue adepte de la psychanalyse, pfff…

« Camarade, tu voudrais pas aller leur causer aux journalistes à la place de ces laquais du pouvoir ? Leur raconter tes histoires de victimes, de demandeurs d’asile ? Tu sais le truc que tu nous racontais l’autre fois. La France, terre d’accueil qui acceptait jusqu’aux années 70 pratiquement 80% des demandes d’asile. L’émergence de la notion de victime, son instrumentalisation. Comment on est passé à 10% de demandes reçues.
T’avais écrit un bouquin (lien : http://www.franceculture.fr/oeuvre-l-empire-du-traumatisme-enqu%C3%AAte-sur-la-condition-de-victime-de-didier-fassin-richard-rechtman) là-dessus, non ?
Tu nous en avais dit deux mots un soir.

voila-voila-l-ecole-est-finie 3Ça y est, ça me revient. Tu disais que « l’apparition de la victime » comme objet politico-social majeur date des années quatre-vingt. La victime devient une figure de proue pour expliquer son programme politique, réagir à chaud devant une catastrophe, soutenir un peuple, envoyer des avions. Mais ce qui est intéressant là-dedans, c’est tous ceux qui sortent ou plus exactement tous ceux qu’on veut faire sortir de cette catégorie.
Les « finalement non-victimes« . Par exemple, concernant la politique vis-à-vis des demandeurs d’asile, vu que l’idée c’est plutôt qu’ils retournent chez eux, va falloir essayer d’en faire des non-victimes. Il y a là nécessité à transformer 90% des demandeurs en « hors catégorie », les trier, douter de leur appartenance à la catégorie. Ils vont devoir désormais prouver leur statut de victimes.
Et ça, ce n’est pas facile, les bourreaux, les affameurs ne délivrent pas de certificat, la détresse se mesure difficilement.
Bon alors, comment trier ?

Eh bien, laissons faire les acteurs répond l’État. Laissons faire ceux qui s’en occupent, ceux qui les reçoivent, les aident. Ceux qui a priori voudraient bien tous les accueillir. Créons une compétition perverse.
Présentez-nous les plus traumatisés, les demandeurs qui ressemblent le plus à la victime idéale, et puis appelons les autres des clandestins. Et hop, le tour est joué, non ?

Réfugions-nous dans cette logique, produisons du discours sur tous ces salaud de pauvres qui, mesquinement, se font passer pour des victimes et appelons ça une pensée raisonnable qui prend en compte la complexité.’’
Allez, s’il te plaît, va leur dire.

- Bon d’acc’, je prends rendez-vous sur France cul… J’ai un peu de temps le 27 janvier ( http://www.franceculture.fr/emission-hors-champs-richard-rechtman-2014-01-27).
- Super Riri ! »

Réconfortés mais néanmoins assoiffés, on a additionné quelques 102, place Morel, avant d’aller fermer les paupières.

 

Sur-lieutenant Riflette qui, d’ailleurs,
vous conseille un groupe composé uniquement
de gens originaires de pays démocrates où les
droits de l’homme sont bien respectés.
( https://myspace.com/kiftelele)