Vivre en temps de pandémie

Tranquillisez-vous, ça calme !

Habiter Milan en cette fin février 2020, c’est habiter dans une presque science-fiction. Une science-fiction modeste, une qui n’ose pas aller trop loin, pas assez en tout cas pour comprendre immédiatement dans quel futur on a atterri.

Afin non pas d’endiguer mais plutôt de ralentir la propagation du coronavirus, un certain nombre de mesures ont été prises en Lombardie. Les écoles et les institutions publiques ont été fermées, toutes manifestations publiques annulées, les bars priés d’arrêter à 18 heures sans compter que plusieurs villes sont en quarantaine avec de la police autour pour les « oublieux ». Tout cela paraît sensé, il s’agit seulement de faire en sorte que tout le monde ne tombe pas malade en même temps : hôpitaux bondés, salles d’attente des médecins irrespirables, pénurie de médocs, panique dans les chaumières…

Mais le jeu pour les autorités est à double tranchant. Avec ce genre d’événement, plus vous prenez des mesures, plus ça s’affole. On dévalise le rayon pâtes, on pille les derniers masques  »antibactériens », les lotions hydro-alcooliques, on fait plein de tests, trop de tests… Il n’y en a presque plus.

Et puis ça regarde le Chinois de travers. D’ailleurs, de leur côté, c’est profil bas, masque, fermeture des magasins, des bars-tabacs (beaucoup ont été repris par des Chinois à Milan), soins pédicures et autres coiffeurs, gentillesse décuplée, ce qui n’a pas évité… tabassages et insultes à travers le pays.

Avec la pandémie, s’exagère le concept de pestiféré. Nous avons l’œil. Nous cherchons le potentiel de dangerosité chez l’autre. Nous fronçons les sourcils quand l’un tousse, vacille ou a les yeux rouges. Nous le cherchons d’autant plus que nous nous sentons nous-mêmes potentiellement pestiférés. D’ailleurs, les informations nous rapportent que nous ne sommes plus les bienvenus en France, qu’il nous faudra observer une quarantaine, deux prises de température par jour, porter un masque si on ose sortir…

On se sent « mal sains ». Les mains sales, aurait dit Jean-Paul Sartre.

Ah oui tiens, se laver les mains. Faut que ça devienne une obsession. Les mains propres qui touchent, qu’on lave, qui touchent, qu’on lave, qui touchent qu’on lave. Les mains propres, pas longtemps, les mains sales trop souvent.

Finalement, le plus surprenant c’est que la ville est calme. Très calme. C’est tous les jours dimanche, quoi. On peut supposer qu’une grande partie des habitants reste a casa, qu’une autre a fui pour des vacances en montagne et que le reste a tout simplement ralenti.

Car il faut dire que beaucoup de personnes respectent les consignes ici. Quelques-unes aussi essayent de jouer avec la règle. On comprend, dans un pays où l’Etat social et le Droit du travail ont été ravagés par des années de gouvernement de droite et de social-démocratie molle, que ce genre de péripétie fait mal du côté des précaires… qui sont nombreux. Pensez aux contrats à la tâche… Ceux qui interviennent dans les écoles, par exemple : nada, walhou, niente. A casa, senza soldi, punto.

Les bars prennent cher aussi. Le sacro-saint apéro milanais de 18h est annulé. Dans les premiers jours, des mains surgissaient de dessous les rideaux quasi fermés afin d’abreuver le client du trottoir. Bon, pas super… Mais la parade a été trouvée quelques jours plus tard : puisque les restaurants, eux, peuvent ouvrir à condition que les tables soient espacées, le zinc a été fermé et l’apéro sera désormais à la table… Les bistrots ont rouvert !

Ah et puis ça traficote aussi du côté de l’église : les premiers jours, la messe avait lieu mais le signe de la paix se faisait avec les yeux… Ce n’était pas suffisant, plus de messe. Toutefois, on a vu une cérémonie d’enterrement avoir lieu… à condition que les participants (je veux dire les vivants !) se dispersent dans l’église. Ouf, nous pouvons de nouveau mourir !

Bon, ben je vous quitte, faut que j’aille me laver les mains ! Allez, maintenant que vous êtes prévenus, je vous laisse faire le plein de bouquins avant d’entrer en Dimanchie.

Sur-lieutenant La Riflette, depuis Milan