viens-jouer-avec-mon-wich 1Le fleuve de couleurs approchait. Il allait inonder Dunkerque de sa folie. Je relevais une tête désabusée sur ses losanges de couleurs qui parsemaient son costume d’arlequin et elle, rieuse, m’adressa un « Bo alors, tu dis quoi ? »

Ça faisait des heures qu’on prenait ce petit-déjeuner composé essentiellement de houblon – « po d’cofé pdant l’cornovol, garçon » nous a dit Gilles -, des heures que dans cette folie transgenre, qu’Anne Fausto-Sterling s’évertuait à me dessiner des schémas queer, façon « french théorie », des schémas à vous déconstruire la cervelle.

Moi, j’en pouvais plus, je rêvais de m’enfuir, je voulais me noyer dans la foule, je voulais gueuler  » libérez les harengs, libérez les harengs ! ». J’ai dit  » deux Bères, Gilles chteup « . On chope vite l’accent chez les flamengo.

Elle, ça la faisait bien marrer cette histoire de poilus qui se fringue en  » ma tante « . Hilare, même, qu’elle était. Elle me labourait les côtes de grands coups de coude chaque fois qu’elle en voyait un faire des câlineries coquines à un de ses camardes. Cette caricature de mâles qui se testaient à la tantouzerie, c’était parfait pour elle. Pis, on sentait bien qu’elle prenait une sacrée revanche sur toutes ses dernières engueulades féministico-genrées. Elle respirait enfin quoi.

J’ai remonté mon porte-jarretelles et je lui ai dit  » Bon… résumons. T’as essayé de montrer à ceux qui s’opposaient au déterminisme biologique que la biologie est anti-normative, qu’elle est dans leur camp. Bon, il t’ont pas cru pis ça t’a agacé. En gros, c’est ça, non ?  »

«  si tu vo po qut’a femme t’emmerde, to mari po, to mari po, si tu vo po qut’a femme t’emmerde, to mari po, to mari po « 

Pas eu le temps de me répondre, la bande est arrivée, le courant nous a emporté. Bien plus tard, engoncé dans le rigodon, je l’ai aperçue au loin, puis plus revue. De toute façon, j’étais cuit. Je suis allé m’en boire une dernière à la capelle de la fée braise où m’attendait une chambre vide… et un lit profond.

Le lendemain, en rentrant, dans le tgv, des paillettes plein les cheveux et les yeux de rimmel coulant, je me suis penché sur son bouquin. Les cinq sexes qui se titrent. Les cinq sexes qui se titrent. Les cinq sexes de Anne Fausto-Sterling . Ça fait sérieux non ?

J’ai un peu mieux compris se qu’elle racontait la Anne. Elle révèle un truc de dingue : la diversité des sexes biologiques : ceux qui sont franchement mecs, celles qui sont franchement gonzesses, pis tous les intermédiaires. Des intermédiaires il y en a tellement qu’on pourrait douter de ceux qui en sont franchement. Bon commençons par cinq catégories : les deux premières, là, pour l’instant, on voit bien. Mais il y a aussi ceux/celles qui ont deux sexes, c’est à dire qu’ils, elles, enfin ieles – on en perd sa grammaire – sont tout traversé(e)s par des hormones opposées, pis surtout, qu’ieles ont deux machins. Vous voyez ce que je veux dire, deux appareils reproducteurs qui même des fois peuvent permettre tous les deux de se reproduire. Indéterminables, quoi. Et puis il y a ceux qui sont pas trop déterminables, un peu  » mâle « , beaucoup  » femelle « , ou l’inverse. Des presque ailes et des presqu’îles.

viens-jouer-avec-mon-wich 2Si vous aimez les catégories, on peut ranger ce paquet dans la case  » intersexe « , ça rassure de ranger. Sauf que, si vous aimez les stats’, ben, ils y en a qui disent que ça représente 4% des naissances. Imaginez, 240 000 français(e)s !
On est loin de l’anecdote, non ?

Du coup, la Anne, ça lui fait dire deux trucs. D’abord, que ces histoires de catégories, c’est juste pour nous faire comprendre. On devrait plutôt parler de continuum. On est tous plus ou moins des deux.
Et puis surtout, elle nous rappelle notre connerie à ignorer ça. Notre vision binaire créée de belles saloperies. Opérations chirurgicales arbitraires à la naissance, les rares rescapé.e.s des docteurs coupe-coupe qui vivent caché(e)s – interdits de vestiaire, par exemple – incompréhensions qui donnent lieu à de la bêtise pour (presque) tous.

La binarité, c’était – je dis c’était, parce que maintenant, vous êtes au courant – c’était, donc, bien. Disons, pratique mais quand même un peu con. Vrai, on se fermait les yeux avec nos équipes de vélo sexuées , nos cartes d’identité qui obligent à choisir son camp, nos entrées gratos en boite…

Bon moi, l’année prochaine, à Dunkerque, je me déguise en gorille.

 

Sur lieutenant riflette