Les castagnettes de Carmen # 36

Tannhäuser de Richard Wagner à l’Opéra de Lyon du 11 au 30 octobre 2022

C’est une mise en scène inventive et habile de Tannhäuser que propose David Hermann en ouverture de la nouvelle saison de l’Opéra de Lyon. L’intrigue n’est pas située dans un Moyen-âge vaguement mythifié mais dans un futur inspiré de Mad Max et, surtout, Vénus et ses nymphes sont devenues de séduisantes créatures artificielles aux mouvements mécaniques. Les décors de Jo Schramm, magnifiquement rehaussés par les lumières de Fabrice Kebour, évoquent des déserts lunaires ou des bases spatiales postapocalyptiques. Les preux chanteurs qui tentent d’arracher le pauvre Tannhäuser aux tentations charnelles du Venusberg sont les représentants d’une humanité résiduelle, en lutte contre de froides humanoïdes aux charmes vénéneux.

Une telle lecture repose sur un évident contresens, que l’on ne saurait reprocher au metteur en scène puisqu’il est inhérent au propos wagnérien. Les inhumains, ce sont bien ces sombres chevaliers et ces lugubres pèlerins qui trouvent leur joie dans la mortification et louent « la peine et la souffrance », alors que le monde de Vénus est celui d’une « fête joyeuse » où l’on célèbre l’amour dans l’allégresse. Nietzsche l’avait bien vu : « Prêcher la chasteté, c’est inciter à la contre-nature » (1), et la vie est du côté de la fête des corps, non dans la pénitence. Tannhäuser relève bien de la science-fiction tant, depuis Brassens, faire in naturalibus un petit peu d’alpinisme sur le mont de Vénus n’est plus considéré comme un crime inexpiable mais comme un loisir vivifiant. Hermann le sait, qui n’accuse pas l’opposition entre les deux pôles mais invite, dans un finale que les chœurs rendent saisissant, à leur réconciliation. Elizabeth (Johanni van Oostrum) n’est plus une vierge sacrificielle mais une jeune femme que sa compassion ouvrira peut-être à l’émancipation.

Décors et mise en scène foisonnent de bonnes et belles idées, qui allègent un propos qui pourrait facilement devenir pesant — comme ces lutins farceurs aux yeux bioniques ou la présence récurrente du jeune pâtre changé en belle et innocente androïde (Giulia Scopellini). La baguette de Daniele Rustioni surmonte ce que la partition wagnérienne recèle de « prudhommesque bonhommie » (Nietzsche, encore) et les différents rôles sont brillamment servis par une distribution dans laquelle se distinguent Stephen Gould, remplaçant de Simon O’Neill initialement prévu dans le rôle-titre, et Irène Roberts en Vénus puissante et majestueuse. Situé dans une sorte d’arène aux tribunes encagées, le concours de chant de la Wartburg (Christoph Pohl, Robert Lewis, Pete Thanapat, Liang Li) tient toutes ses promesses.

On aura compris que j’invite davantage à visiter la grotte enchantée où, « dans les bras d’un désir ardent », Vénus se dispose à « apaiser vos désir » (acte 1, scène 1), qu’à faire le pèlerinage à Rome où, en choisissant « librement la peine et la souffrance », chacun peut expier « [s]es fautes humblement » (acte 1, scène 3). Mais quelle que soit la destination choisie, je recommande le voyage.

Carmen S.

  1. Le Cas Wagner, Paris, Gallimard, 1974 [1888].

© Agathe Poupeney / Divergence