La lisière de notre lit était une vaste méandre
où votre fille de quinze ans était pendue
la gorge prise dans les roues de la police
un pignon cloué au bois
près de la carte de la Western Reserve
je n’ai pas pu revenir avec vous pour enterrer le corps
défaire vos cartons d’emballage nocturnes
contre le froid suintant du Transvaal
je n’ai pas pu planter mon autre crampon
contre le mur de la gare ferroviaire
ni porter aucune de vos âmes depuis le fleuve
dans une calebasse sur ma tête
alors je vous ai pris un billet pour Durban
avec mon American Express
et nous gisons ensemble
dans la première lumière d’une saison nouvelle.
Nettoyant à présent le fourrage de mon jardin d’automne
l’oseille à vache la fusée recouverte s’est faite graine
j’atteins par goût ce jour
le New York Times mentionne finalement ton pays
l’histoire tient sur une demi-page
du premier Sud-Africain blanc tué durant les « troubles »
pas des enfants noirs massacrés à Sebokeng
les enfants de six ans emprisonnés pour menace sur l’état
pas de Thabo Sibeko, élève de première année, dans son propre sang
sur le sol du salon de sa grand-mère
Joyce, neuf ans, essayant de ramper jusqu’à lui
en chiant par son nombril
pas d’un nourrisson de trois semaines, sans nom
égaré sous les lits brûlés de Tembisa
ma main s’affaisse comme un étau brun sur les soucis calendulas
téméraire dans la détresse
nous étions deux femmes noire approchant notre flamme
et nous avons laissés nos morts derrière nous
je flottais tu t’es dressée le dernier rituel de guérison
« c’est le printemps » as-tu soupiré
« j’ai balnave pour les flingues et la poudre
je rentre chez-moi demain »
et où que je t’effleure
je lape le froid de mes doigts
goût de rage
comme le sel des lèvres d’une femme
qui a tué trop souvent pour oublier
et porte chaque mort dans ses yeux
ta bouche une orchidée d’adieu
« un jour tu viendras dans mon pays
et nous combattrons côte-à-côte ?»
Un cliquetis de clés dans l’entrebâillement de la porte menaçant
tout ce qui adviendra appartient à ici
je tâtonne à la recherche de ta douceur
mais le silence explose comme une panse engrossée
à mon visage
un dégueulis de plus jamais
Mmanthatisi[1] se défait du tissu
que ses belles-filles ont teint
Le bébé régurgite le lait de son sein
elle le refile somnolent à sa sœur
et se rhabille pour la guerre
sachant que les hommes suivront.
Dans les crépuscules imbriqués de Maseru
rapides tristes vitaux
elle planifie la bataille du lendemain
rêve de Durban parfois
des visions du chant profond ironique des galets sur la plage
courant après la mer.
[1] Régente des Batlokwa, dans une région correspondant à peu près au Lesotho actuel, de 1813-1824 (jusqu’à la majorité de son fils). Elle avait la réputation d’être une dirigeante avisée, courageuse, en temps de paix comme en temps de guerre