CAUCASE DÉPART 2

WAGS des années 80.

 

shatter-zone-4 1Si Séville 82 a été notre juin 40 footballistique, pour les Soviétiques que tout le monde attend, le mundialito n’est pas la débâcle mais presque. En ce début d’années 80, un vent d’Est souffle sur le football européen symbolisé par les victoires du Dynamo Tbilissi. Le club de la police décolle sous l’impulsion du nouvel entraîneur Akhalkatsi, il remporte la coupe des coupes en 1981 et atteint les demi-finales en 1982. Le club devient parallèlement le symbole de la diversité culturelle, dans une Géorgie qui a toujours eu du mal à composer avec ses minorités. Les Géorgiens ’’pure souche’’ se mêlent alors aux Ossètes et aux Abkhazes.

David K est un jeune joueur du Dynamo. Il joue en réserve et cire parfois le banc en équipe première. Comme le fulgurant ailier Gutsaev, il est ossète, né à Beslan en Ossétie du Nord. En 1982, alors que son capitaine joue la coupe du monde en Espagne, il rejoint le Spartak Ordzhonikidze, aujourd’hui FC Alania Valdikavkaz.

Juste avant son transfert il rencontre Naïra, une jeune sovok géorgienne de 18 ans qui vient de perdre ses parents. Quand il lui propose de l’accompagner, elle n’hésite pas une seconde. Le couple s’installe dans le quartier de Bam, surnommé « la petite Géorgie ». Selon les standards soviétiques, ils vivent plutôt bien. Naïra n’a pas besoin de travailler. Le quartier est calme, Géorgiens et Ossètes vivent en toute harmonie sous la « protection » du grand frère russe.

À l’époque, tout le monde possède la citoyenneté soviétique, mais en URSS citoyenneté et nationalité n’ont jamais été confondues. La politique des nationalités soviétique a moins été construite pour apaiser les particularismes que pour attiser les tensions et mieux diviser. Cette diabolique alchimie constituera le terreau particulièrement fertile des futurs affrontements ethniques.

shatter-zone-4 2Le couple donne naissance à un enfant en 1991, en plein montée des tensions entre Ossètes et Géorgiens. Le délitement de l’URSS va de pair avec celui du couple. Plus les années 80 avancent, plus les tensions s’aiguisent. La Géorgie a quitté l’URSS. L’Ossétie du Nord demeure dans le giron russe, l’Ossétie du Sud sur le territoire de la Géorgie. Z. Ghamsakhourdia, premier président de la Géorgie indépendante, hystérise la Nation géorgienne et multiplie les attaques contre les Ossètes. Les tensions, puis le conflit armé éclate entre Ossètes du Sud et Géorgiens. Les violences ont une résonance intime. Plus les Ossètes expulsés de Géorgie se réfugient en Ossétie du Nord, plus Naïra reçoit de coups de la part de son époux. Celui-ci finit par disparaître de la circulation.

Elle se retrouve seule avec son fils et doit cacher sa mixité ethnique. En 1992-93, elle tente d’obtenir la citoyenneté russe. L’officier d’état civil lui balance ses papiers à la figure en constatant ses origines géorgiennes. Ses conditions de vie se dégradent sur fond de généralisation de la violence à l’ensemble du Nord Caucase. Il faut désormais slalomer quotidiennement entre les balles d’AK 47. En septembre 2004, le conflit tchétchène déborde et touche l’Ossétie du Nord. Une sanglante prise d’otage à lieu à l’école de Beslan. La situation sécuritaire devient de plus en plus volatile. En 2003, Saakachvili prend le pouvoir en Géorgie avec la ferme intention d’ancrer son pays à l’Ouest. Il oriente sa politique vers Washington. Alors qu’une avenue G.W.Bush est inaugurée à Tbilissi, des instructeurs américains aident l’armée géorgienne à nettoyer les Gorges de Pankissi quand des militaires géorgiens participent à l’aventure irakienne. Cet atlantisme est cependant un peu trop prononcé au goût des Russes. Comme à chaque tentative d’émancipation depuis sa nouvelle indépendance, la Géorgie sera une nouvelle fois déstabilisée.

shatter-zone-4 3Naïra, quant à elle, se prendra de plein fouet ces rivalités de puissances. Après Beslan en 2004, la tension se fait de plus en forte. En 2006, après la crise des espions, elle échappe de peu aux rafles de Géorgiens expulsés dans des Antonov vers la Géorgie. L’année 2008, marque le point de non retour. Sur l’échiquier du grand jeu caucasien la pièce maîtresse de Moscou s’appelle l’Ossétie du Sud. La constitution d’identités closes, provoquée par le nettoyage ethnique du début des années 90, conjuguée à la toxicité du discours nationaliste du président, permettent à la Russie de disposer de tous les ingrédients pour mener à bien sa stratégie. Plus Saakachvili adopte la posture du héraut de la Nation, plus Poutine jure de lui faire la peau. Des meurtres de salon, on glisse doucement vers l’affrontement armé.

Au printemps 2008, l’atmosphère se fait de plus en plus lourde. Naïra perd son emploi, la violence s’installe, les Géorgiens sont battus dans la rue. Les discours enflammés du Président T. Mansourov jettent encore un peu plus d’huile sur le feu. Dans la nuit du 7 au 8 août, les chars russes empruntent la vieille route militaire et traversent le tunnel de Roki. Ils seront rapidement aux portes de Tbilissi.

Le 09 août, le fils de Naïra est agressé par six Ossètes. Le gamin est dans un sale état, côtes fracturées, crâne ouvert et multiples contusions. Le 10 août, une foule haineuse, épaulée par la police défile dans le quartier. Les manifestants appellent aux meurtres de Géorgiens et cherchent à débusquer les indésirables. Les voisins de toujours, avec qui Naïra n’a jamais eu de problème, les dénoncent. Une dizaine de personnes fait alors irruption dans l’appartement et le saccage pendant que ces mêmes voisins se servent à l’envi dans l’appartement de la « géorgienne ». La levée des inhibitions et des tabous sont malheureusement un des symptômes de la guerre, plus encore de la guerre civile. Naïra prend tout ce qui lui reste. Elle contacte un passeur qui organise sa fuite vers l’Ouest contre du cash, de l’or, et les bijoux offerts par son footballeur de mari. Le foot lui aura au moins servi à ça.

 

Loïc Morvan