Saisine

« Là où j’ai grandi, quand on sentait l’usine de levure, une odeur âcre qui vous retournait l’estomac, c’est qu’il allait pleuvoir. Comme une double peine… » Marc UhryLes Fleurs du mal

 

Bon, ben l’autre soir je regardais un dvd. Enfin le bonus d’un dvd et pour être plus précis un court-métrage que j’espérais d’ailleurs meilleur que le film, vu que la prestation de Béatrice Dalle l’avait salement abîmé, le film.

Bref, c’était, si j’ai bien compris, une histoire de vengeance, de vengeance impitoyable, même. J’étais attentif, Béatrice avait eu la pudeur de s’en tenir au film pis c’était pas trop mal foutu. Bon et puis là paf ‘ « non mais c’est Zine ! » Je te jure, c’est Zine, le rédac’ chef du Zèbre, là, comme ça dans le court-métrage. Une sorte de cadeau bonus – pardon, c’est sorti tout seul comme dirait Lacan.

Zine, il rentre dans la chambre d’hôtel, dans l’histoire quoi, il rentre comme objet, sujet même de la vengeance, pis, il meurt.

Gonflé ce Zine, hop il rentre dans le bonus de mon dvd, une sorte de clin d’œil quoi, parce que vous allez voir…

Je me lève, je regarde par la fenêtre cherchant à retrouver mes esprits, je regarde les feuilles qui volent. Elles sont plutôt jaunes d’ailleurs, quelques-unes marrons. Et puis là, mon téléphone sonne. Je décroche, c’est Zine !

Il me dit : « Comment t’as deviné ? »

Je lui dis : « J’ai reconnu ta voix, quoi ? »

« Oui ça ok, mais comment tu sais pour la saisine ? »

Je cherche. Je comprend pas. Je me dis qu’il veut encore me jouer un tour, que même peut-être tout était calculé. Mais bon, mes pensées me prennent trop de temps, il me devance.

« Bon, peu importe, je t’appelle donc parce que demain il y a la conférence de presse, pour la saisine et il faut que Le Zèbre y soit. La saisine du défenseur des droits par l’association Eisenia. La Métropole est accusée de maltraiter ses déchets. Sera, d’ailleurs, présenté un  »plan B » à cette occasion ».

B comme bonus, je me dis.

« Fonce Poussin, c’est du gros, ça va trembler du côté du ministère de l’Intérieur et je veux qu’on y soit, ok ?

Bien chef » me suis-je rabaissé à répondre.

Et c’est comme ça que je me suis retrouvé à zigzaguer dans les cadis, poussettes et autres cagettes remplis de légumes pourris vu que la conf’ avait justement lieu en plein milieu d’un gros producteur de déchets lombricompostables – comme je l’apprendrais un peu plus tard – le marché, quoi.

Encore hagard des émotions de la veille, je déambulais en marmonnant « c’est Zine, c’est Zine… » Les gens me regardaient bizarrement, une pluie fine et froide tentait de me rappeler le réel, celui des déchets.

« C’est Zine, penser à acheter de la lessive, c’est Zine, revoir 37,2 le matin, c’est Zine, la vengeance de la place Beauvau, c’est Zine… ». Il m’a fallu un bon quart d’heure avant que cette pluie me ramène définitivement parmi les miens, je veux dire mes semblables du marché. Ça tombait bien, la Brasserie de la mairie se présentait à moi.

J’arrive donc devant la porte du bistrot et là, devinez qui m’ouvre ? Béatrice Dalle !!!

Nan, je rigole, c’était Thomas, le Président de l’association. Pensez, chez Eisenia, ils pourraient pas se payer Béatrice Dalle, en tout cas, pas encore. D’ailleurs, serait-ce une bonne idée ? Pas sûr, non ? En tout cas la question ne sera même pas évoquée durant l’heure et demi de conférence, c’est dire.

Par contre, les manquements de la Métropole, sa gestion pour le moins douteuse du budget  »déchets », sa vision industrieuse et polluante, alors ça oui, on en parlera. Elle en a pris pour son grade, la Métropole. Allez jauger par vous-même : http://eisenia.org/saisine-defenseur-droits-plan-b/, vous verrez bien.

On a parlé aussi de ce mystérieux plan B. Bon, c’est vrai, à ce moment-là je n’écoutais pas trop. Un type assez enthousiaste me parlait de  »pensée circulaire », « attention, me dit-il, il ne s’agit pas de tourner en rond, ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit, il s’agit de penser circulaire mais pour aller ailleurs, au-dessus par exemple, comme dans une spirale ».

Il m’explique un truc à la fois simple et compliqué. Compliqué parce que quand même, on n’est pas habitué à penser avec des spirales. Il m’explique que pour produire tout ce qu’on mange, ben on puise dans les sols – ne me demandez pas ce que l’on puise, je ne sais pas bien au juste mais quand même, je suis d’accord, on puise dans les sols des trucs qui font que ça fait pousser les légumes, entre autres. On puise dans les sols agricoles donc et puis après, ce qu’on a puisé, disons le légume, par exemple, ben il part soit dans nos poubelles en épluchures et donc à l’incinérateur, dans l’air, soit aux chiottes et donc dans la mer. Et vu que les prochains légumes on ne les fera pas pousser ni dans l’air, ni dans la mer, ben on aurait bien besoin de composter grave façon retour à l’envoyeur, sinon, nos sols vont être épuisés. C’est comme ça la pensée circulaire. La pensée, elle fait des spirales, pis les déchets eux, ils tournent en rond. Voilà.

Ah la la, c’est Zine qui va être content que je lui ramène des bonnes idées comme ça.

Bon allez, salut,

Sur-lieutenant La Riflette

P.S. : une bière, pis je vous donne le titre de ce court-métrage de 1998…