Les castagnettes de Carmen # 22

Rodelinda à l’Opéra de Lyon du 15 décembre au 1er janvier

Rodelinda, c’est un épisode de l’histoire la Lombardie du haut moyen-âge dont Corneille avait tiré une pièce médiocre mais que Heandel et son librettiste Haym avaient su réhabiliter pour cette œuvre, créée en 1725. Résumons : le roi Bertarido a été détrôné par Grimoaldo qui, conseillé par le traitre Garibaldo, convoite son épouse Rodelinda. Fidèle à son époux qu’elle croit mort, celle-ci repousse ses avances, tandis que Bertarido mûrit sa vengeance avec l’aide de son féal Unulfo, mais est étreint par un doute quant à la fidélité de Rodelinda…

Haendel, c’est du velours. Une musique sans aspérité ni brutalité, qui reste douce à l’écoute même quand elle s’emballe ou se fait dramatique. Reconnaissons que pour une fin d’année, c’est loin d’être désagréable, surtout quand l’orchestre de l’Opéra — en formation réduite, baroque oblige — se met brillamment au service de la partition sous la baguette de cet habitué de la fosse lyonnaise qu’est Stefano Montanari. On l’a certes entendu diriger plus dynamiquement (par exemple L’Enlèvement au sérail ou Don Giovanni) mais, là encore, c’est loin d’être déplaisant un lendemain de réveillon, surtout quand la distribution est à l’avenant.

Celle-ci se montre valeureuse tant sur le plan de la performance vocale que de l’interprétation scénique. Sabina Puértolas sait restituer la douleur et le trouble, mais avant tout la fidélité farouche, d’une Rodelinda qui ne sait plus si elle est veuve ou pas. Bertarido était joué ce soir-là par Xavier Sabata, qui excelle dans un registre de haute-contre inhabituel aujourd’hui pour un rôle supposé viril (dans le même registre, Christopher Ainslie est tout aussi brillant dans son interprétation d’Unulfo). Remplaçant au pied levé Avery Amereau, Lidia Vineyes Curtis interprète une Eduige toute en ambivalence, d’abord intrigante puis solidaire de Rodelinda.

Une mention spéciale doit aussi être accordée à Fabián Augusto Gómez Bohórquez, qui interprète le fils de Rodelinda et de Bertarido, Flavio. Ce rôle a beau être muet, il est omniprésent et central dans la mise en scène de Claus Guth, et contribue à fluidifier une intrigue riche en rebondissements. Les espiègleries comme les terreurs de l’enfant (on se doute que son histoire familiale ne sera pas sans lui laisser quelques traumatismes), posées en contrepoint par la mise en scène, enrichissent l’intrigue principale exposée par le chant. Particulièrement inventif — une grande maison qui, en tournant, révèle chambre, salon, grand escalier ou façade —, le décor cliniquement blanc de Christian Schmidt sert la densité scénique : quand l’action principale réunit les chanteurs dans l’une des pièces, autre chose est mimé ou dansé à l’étage au-dessus ou dans la pièce voisine, qui vient rajouter de l’épaisseur (toujours de la nuance et de l’ambiguïté, parfois de l’humour, souvent de l’angoisse) au propos.

Faire de la relecture baroque d’une sombre guerre de succession moyenâgeuse une évocation des sources familiales des terreurs enfantines, le tour de force méritait d’être salué, a fortiori lorsqu’il se fait beau moment d’opéra.

Carmen S.

© Jean-Pierre Maurin