Les castagnettes de Carmen # 35

Rigoletto de Giuseppe Verdi à l’Opéra de Lyon du 18 mars au 7 avril et Nuit funèbre de Jean-Sébastien Bach au Théâtre des Célestins du 19 au 27 mars

On rigole bien peu, en fait, dans le Rigoletto de Verdi, histoire de vengeance avec bouffon sinistre et duc violeur. Inspirée d’un drame en vers de Victor Hugo au titre (Le Roi s’amuse) tout aussi trompeur, l’opéra raconte l’accomplissement de la malédiction de Monterone (Roman Chabaranok), dont la fille a été déshonorée par le duc de Mantoue. C’est le servile bouffon de ce dernier, Rigoletto, qui en sera la principale victime, en contribuant involontairement à la perte de ce qui lui est le plus cher.

Le thème peut aujourd’hui — il ne l’était pas forcément autant au moment de la création — paraître sordide, avec tueur à gage professionnel (mais peu fiable), hommes venant en bande enlever une jeune fille chez elle et mâle dominant violeur multirécidiviste se prévalant de l’impunité de sa couronne ducale. Mais cette histoire atroce est mise en musique par Verdi et, bien sûr, cela change tout. Elle est en l’occurrence interprétée par des artistes (1) dont le talent sublime les aspects les plus éprouvants. Une mention spéciale doit à ce titre être décernée à la soprano Nina Minasyan qui fait de Gilda, la fille chérie de Rigoletto, une ado aux premiers émois et à la vulnérabilité des plus touchantes. Dalibor Jenis dans le rôle-titre et Enea Scala dans celui du Duc recueillent à ses côtés des applaudissements mérités pour leurs belles interprétations des morceaux de bravoure de l’œuvre.

La mise en scène d’Axel Ranish laisse davantage perplexe. Non qu’elle manque de belles et bonnes idées, comme celle de faire de la cour de Mantoue une sorte de casino de Las Vegas décadent ou celle d’installer la demeure de Rigoletto dans une triste barre de banlieue. Même la référence au cinéma (déjà très appuyée dans Irrelohe) est bienvenue lorsqu’elle prend par exemple la forme d’un plaisant générique. Le problème est qu’elle s’est hypertrophiée sous la forme d’un récit parallèle, distinct de l’intrigue tout en s’en inspirant, et que le spectateur ne sait plus où donner de la tête, entre l’histoire jouée sur scène et celle qui se déroule sur le grand écran situé au-dessus (2). D’où la tentation de fermer les yeux pour ne jouir que de la seule musique.

Participant également du festival « Secrets de famille », l’Opéra propose, au théâtre des Célestins, une Nuit funèbre (Trauernacht) de Jean-Sébastien Bach. L’œuvre n’a en tant que telle pas été conçue par le compositeur mais résulte d’un montage, par Katie Mitchell et Raphaël Pichon, de plusieurs extraits de ses cantates, unis par une même thématique funèbre. La mise en scène imaginée par Katie Mitchell suggère deux frères (Andrew Henley, Romain Bockler) et deux sœurs (Elisabeth Boudreault, Fiona McGown) dînant ensemble au retour de l’enterrement de leur père, lequel (Philippe Dusigne) fait quelques apparitions fantomatiques. Très sobre, cette mise en intrigue minimale sert un chant de grande qualité soutenu par une interprétation orchestrale (dirigée par Simon-Pierre Bestin) tout aussi brillante. Si le recueillement n’est pas obligatoire, le plaisir musical est omniprésent.

Carmen S.

© Stofleth (Rigoletto) & Soulage (Trauernacht)

 

  1. La direction était ce soir-là assurée par Alexander Joel, Daniele Rustioni souffrant ayant dû être remplacé au pied levé.
  2. A la décharge du metteur en scène, le soir de la représentation à laquelle j’ai assisté le comédien qui devait, par sa double présence sur scène et dans le film, faire le lien entre les deux était absent car souffrant.