La Chambre Interdite ou la porte des rêves

Rare artisan du 7ème art à cultiver le cinéma muet au XXIème siècle, Guy Maddin est un Méliès qui nous vient du froid (Winnipeg, Manitoba, – 40° l’hiver). Croisant avec une insolence déconcertante l’expressionnisme allemand et le surréalisme de Bunuel, alliant le goût pour l’étrange d’un Lynch ou des frères Quay aux atmosphères sulfureuses de Kenneth Anger ou de Jack Smith, il nous offre avec La Chambre Interdite un rêve hanté en forme de poupée-gigogne, une merveille de pellicule projetée sur toile : c’est à dire du cinéma, alchimique, comme on en voit rarement. à vous de voir…

 

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D’abord faîtes couler un bain. Une fois que votre gros orteil vous a dit que l’eau était à bonne température, ajoutez quelques sels de bain du genre benzylpipérazine puis plongez. Fissa. Sans crainte des éclaboussures ;  l’eau des rêves est toujours un peu trouble et le théâtre mental de Guy Maddin un brin capiteux. Prenez une bonne inspiration : l’air est compté. Dès lors, enfoncez-vous sans peur et allez toujours plus profond. Vous-voici en sous-marin, ou dans une grotte, ou dans une forêt, ou même dans une femme – Freud me tripote… Voire une femme kidnappée et amnésique, qui pourrait même devenir plusieurs… Wahou ! Bienvenue à bord d’un truc foutraque : tiens, un train Colombie-Berlin Express ou un sabbat de squelettes sur fond d’éruption volcanique. Ça y est ! Votre corps maintenant est complètement immergé et votre esprit relâché flotte dans les vapeurs méphitiques d’un Grand-Guignol sans queue ni tête, sur les rails du métro émotif profilés exprès par le maître de cérémonie occulte qu’est par définition un cinéaste…

De Charybde en Scylla, vous croiserez des vampires et des ectoplasmes, des docteurs fous et des femmes-squelettes, des Zeppelin et des animaux empaillés, le tout au gré d’une pelloche savamment triturée, à l’instar de votre peau désormais toute fripée et de votre esprit flagada. Vous n’avez pas rêvé. Sur votre peau, et baignant langoureusement les synapses de votre cortex dilaté, demeure une fine pellicule d’huiles essentiellement sympathiques. Un film aussi invisible que vital. Spirite. Au cinéma, ça s’appelle le révélateur. En psychologie, du grain à moudre. Dormez-dessus. Entrez sans plus attendre in The Forbidden Room.

Évidemment, à l’heure où vous lisez ces lignes, le film a sans doute été écarté des écrans depuis belle lurette. Restez perspicaces et patients : du même réalisateur, vous aurez sans doute l’heur de glaner la douzaine de bijoux qui composent sa filmographie : Tales from the Gimli Hospital, Careful, Archangel, Dracula, The saddest music in the world, Et les lâches s’agenouillent, Des trous dans la tête, Winnipeg mon amour… à consommer sans modération, les mirettes bien écarquillées.

Marco Jéru