Quiz laïcité : petit guide de survie en milieu hostile

 

Dans l’excellent Mammouths, monstroplantes et on nous tient par la barbichette…, tout récemment publié dans le Zèbre, Emmanuelle Ravot détaillait les stratégies insidieuses déployées par certains pour ramener la religion à l’école. 110 ans après son adoption, on déplore que la loi de séparation des Églises et de l’État (dite loi de laïcité) ne soit pas une évidence davantage partagée et il faut s’alarmer qu’après une belle période de calme laïc un retour des crispations religieuses amène avec lui un flot de revendications tambourinant à la porte de l’école et plus généralement de la République. Mais sait-on toujours bien ce que dit la loi ? Ah ! Le Zèbre t’offre gracieusement ce petit guide pratique en forme de quiz pour faire le point.

 

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  1. Je suis un homme et ma religion, frileusement, n’encourage pas le contact avec les femmes. Dois-je quand même leur serrer la main en arrivant au travail ?

◊ : oui

◊ : non

◊ : ça dépend !

Ça dépend ! La loi ne t’oblige pas à serrer la main de tes collègues et encore moins à leur faire la bise (pouah !). En revanche, le respect est dû à chacun, qui mérite d’être salué d’une façon ou d’une autre, et cela sans discrimination de sexe. De plus si ton refus d’une sociabilité bien ordinaire entrave le bon fonctionnement de l’entreprise ou la réalisation de ta mission, prépare-toi à recevoir un recommandé. Enfin, si la loi ne punit pas la connerie, elle condamne propos et agissements sexistes…

 

  1. Je suis Sikh. Puis-je postuler à un emploi avec mon turban ?

◊ : oui

◊ : non

◊ : ça dépend !

Ça dépend ! Personne ne peut être écarté d’une procédure de recrutement pour des motifs religieux. En revanche, tu seras peut-être amené à l’enlever dans le cadre professionnel, parce que tu postules à un emploi dans la fonction publique ou dans le bâtiment. Dans le premier cas, la loi sur la laïcité t’oblige à la neutralité religieuse et donc à ôter ce signe ostentatoire. Dans le second, c’est le code du travail qui t’impose le port du casque…

 

  1. J’admire le bouddha, puis-je mettre son poster dans mon bureau ?

◊ : oui

◊ : non

◊ : ça dépend !

Ça dépend ! Petit scarabée, si tu travailles à Pôle emploi ou dans l’Éducation nationale, non, fut-ce pour encourager tout ton petit monde à plus de zénitude. En revanche, si tu sévis dans une entreprise privée où la loi n’interdit pas les signes religieux, tu peux punaiser ton poster préféré. Attention, le prosélytisme est en revanche proscrit ! Donc évite de transformer ton bureau en pagode…

 

  1. Quand je serai mort, je crains que l’entourage de mécréants nuise à mon éternel repos. Puis-je être enterré parmi mes coreligionnaires ?

◊ : oui

◊ : non

◊ : ça dépend !

Ça dépend ! Depuis 1881, la loi veut que tout le monde soit enterré dans le même cimetière, lieu laïc où l’on ne fait pas de distinction confessionnelle. Les signes religieux n’y sont pas autorisés, sauf sur les tombes pour dire combien sa mémé était pieuse. Mais… Il existe quelques cimetières confessionnels privés juifs ou protestants datant d’avant 1881. Si tu n’es ni juif ni protestant, ou qu’il n’y a plus de place, une circulaire de 2008 sur la Police des lieux de sépulture (reprenant une circulaire de 1975) autorise, voire encourage, les regroupements de faits dits « carrés confessionnels ». Comme c’est le maire de la commune qui décide, il fait comme il veut ; parfois il y en a, parfois non. Quoi qu’il en soit, ces carrés doivent obligatoirement se situer dans l’enceinte du cimetière, il y aura donc des mécréants pas très loin… Si tu penses que ça va vraiment trop pourrir la paix de ton âme, alors, avant de mourir, prévoit un déménagement en Alsace-Moselle où le maintien du régime concordataire autorise les cimetières confessionnels (pour les religions reconnues…). Enfin, si l’inhumation dans les cimetières est la règle commune, la loi permet dans certaines conditions et avec l’autorisation du préfet d’être inhumé dans une propriété particulière, comme le parc du châtô familiaaal.

 

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  1. Le chatoiement de mon ondulante chevelure pourrait égarer l’esprit des hommes les plus chastes. Pour ne pas me rendre coupable de séduction, puis-je la couvrir lorsque je vais étudier ?

◊ : oui

◊ : non

◊ : ça dépend !

Ça dépend ! Si tu vas à l’école publique, primaire ou secondaire, il faut se découvrir la tête. Ce n’est pas la loi de 1905 qui s’applique, car elle impose la neutralité religieuse seulement aux représentants de la République (ici, les profs) et non aux usagers (ici, les élèves) (1). C’est la loi de 2004 qui, pour sanctuariser l’école et soustraire les jeunes aux pressions religieuses, restreint l’application du principe de laïcité et interdit « le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics ». Si tu vas dans une école privée et/ou confessionnelle, la règle est donnée par le règlement intérieur (mais il est parfois contesté pour discrimination). Enfin, si tu étudies à l’université, c’est la loi de 1905 qui s’applique et tu es donc libre de porter des signes d’appartenances religieuses, sans pouvoir faire de prosélytisme et dans la limite du respect de la sécurité et de l’hygiène.

 

  1. Le plafond de l’église penche dangereusement ! Puis-je demander à mon maire de le réparer ?

◊ : oui

◊ : non

◊ : ça dépend !

Ça dépend… de l’âge de l’église, mais pas que ! Dans le détail, la question de la propriété des églises est quasi inextricable (2). Mais dans la majorité des cas, les églises construites avant 1905 et les biens meubles les garnissant à cette date appartiennent aux communes qui sont responsables de leur conservation. Elles sont mises à disposition du culte qui ne peut pas en disposer autrement et assure l’entretien courant. Les édifices religieux postérieurs à la loi de 1905 sont, elles, propriétés privées.

 

Arrêtons-nous là et redevenons sérieux un instant. On aura compris le principe : en matière d’application de la laïcité, c’est souvent « ça dépend ! ». Évidemment ce quiz concentre des cas limites, authentiques zones grises piochées dans des guides pratiques (3). On pourra trouver très peu fair-play d’avoir évacué les questions faciles et redire à quel point la laïcité est une belle valeur qui anime l’esprit de la République.

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Oui, bien sûr, sauf que le diable est dans les détails, comme la longueur d’une jupe ou le revers d’un pantalon et, aussi beau et inspirant soit le principe de laïcité, c’est dans ces zones grises que tout se joue. Or, malheureusement, la règle précise d’application n’est pas fournie avec le principe et dépend d’éléments parfois complexes à apprécier et à établir, dont l’intention — notamment prosélyte —, le trouble à l’ordre public — mais on peut parfois se demander si le public est légitime à se troubler… Les arbitrages de ces cas limites sont de vrais casse-tête que se renvoient les juridictions (4). On comprend combien la laïcité est un rempart de principe contre l’immixtion du religieux dans les affaires publiques. Attention, il ne s’agit pas d’interdire aux croyants de participer au débat public, il s’agit de les empêcher d’imposer leurs valeurs au nom d’une transcendance. La nuance a son importance. Il ne peut y avoir débat, y compris sur les valeurs, que si les règles qui l’arbitrent sont communes à tous. C’est cela que garantit la laïcité et non pas l’éviction du religieux de l’espace public (au sens propre comme au sens d’Habermas). Or ce n’est que parce que cette règle du jeu est contestée par un retour du religieux qui a pris une forme identitaire intransigeante que l’application du principe se fait plus ardue, et que des pratiques qui ne posaient pas problème hier seraient mal perçues aujourd’hui, comme l’abbé Pierre ou le chanoine Kir siégeant en soutane à l’Assemblée nationale. Dans la courte période relativement apaisée où la laïcité ne subissait que peu de contestations, sans doute était-il possible de laisser plus de place aux exceptions et aux accommodements raisonnables, comme disent nos amis canadiens. Inversement, peut-être la laïcité doit-elle s’appliquer avec d’autant plus de rigueur qu’elle est contestée.

 

Gus

 

  1. NB : Les accompagnants scolaires n’étant pas tout à fait l’un pas tout à fait l’autre, on évitera soigneusement d’en parler.
  2. Voir la thèse de Anne Perrin, L’Église catholique et les églises dans le régime français de laïcité, Thèse de doctorat de Sciences des Religions, EPHE, 2005.
  3. Notamment : Repères sur le fait religieux dans l’entreprise à l’usage des managers et des responsables RH, EDF : en ligne : http://www.bretagne-ecobiz.fr/upload/docs/application/pdf/2013-01/4.edf_reperes.pdf. La gestion du fait religieux dans l’entreprise privée, Observatoire de la laïcité, en ligne : http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/contenu/piece-jointe/2015/07/gestion_religieux_entreprise_prive-juillet2015.pdf.
  4. L’affaire de la crèche Baby Loup en est un exemple. Prud’hommes de Mantes-la-Jolie (2010), HALDE (2010), Cour d’appel de Versailles (2011), cour de cassation (2013), etc., et peut-être la Cour européenne des droits de l’homme !