Une Histoire Manifeste

 

Prisons de LyonQui n’a un jour craint de se retrouver derrière ces sinistres barreaux de Saint Paul avec vue sur le périphérique ! Les murs se sont écroulés, l’immonde bête abattue par les pelles des démolisseurs, est remplacée par des prisons aseptisées, loin des centres urbains. On ne les voit plus, les détenus ne seront plus qu’une image virtuelle. Sujets de reportages ou de faits divers, sujets de polémiques, d’affirmations honteuses.

Clin d’œil vivifiant de « l’actu » la parution de l’ouvrage « Prison de Lyon une histoire manifeste » aux éditions Lieux dits, sous la responsabilité de Bernard Bolze. Ce n’est pas sans difficulté de tout ordre, que Bernard, est arrivé à nous présenter ce magnifique opuscule. Une année d’efforts, de recherches documentaires, un travail de chercheur mâtiné du militant des droits de l’humain et de son talent d’ancien journaliste et créateur de Cosmopolis. C’est à un travail de coordination, que s’est livré Bernard Bolze, car nombreux sont les participants à l’écriture de cet ouvrage. Les contributeurs viennent des les « deux côtés de la barrière », anciens « taulards », ou « matons », mais aussi journalistes, sociologues, militants associatifs et même procureurs. Ainsi Mireille Debard, journaliste à libération pendant les années 70 et 80 (auteur du livre les Juges Kaki avec Jean Louis Hennig), et Louis Perego, créateur de l’écrou, journal tenu par des détenus de Saint-Paul et Saint-Joseph, entre 1983 et 1993. Le premier numéro était distribué dans chaque cellule, accompagné d’un mot expliquant les difficultés rencontrées pour poursuivre la suite, l’idée étant de vendre le journal par abonnement. L’Écrou s’impose avec plus de 1500 abonnés !

Un manifeste comme le précise Bernard Bolze dans son introduction, pour éviter l’oubli. Une des forces de ce livre est de rendre vivant la plupart des témoignages recueillis.

Prisons de LyonNous entrons dans le cœur de la prison et des contradictions du système pénitentiaire, quand Claire Borjon nous décrit la vie quotidienne à Saint Joseph au 19ème siècle. « La majorité des détenus dort à même le sol, couvert de haillons et de vermines sur de la paille rarement renouvelée. Seul les plus aisés et les débiteurs incarcérés peuvent liés au concierge lits et draps.« 
Anecdotique, une simple phase décrit un mal endémique du système carcéral français, le surpeuplement et la promiscuité. « Mise en service en 1831, la prison Saint Joseph avait une capacité théorique de 220 prisonnier (80 femmes et 120 hommes), elle détient en 1834, 442 détenues dont une cinquantaine d’enfants » (Jean Claude Vaupré). Quant à la nouvelle prison de Corbas destinée à accueillir 180 détenus elle en accueille 243 en 2009, !

Nous rencontrons Kropoktine, un des penseurs de l’anarchisme, incarcéré quelques mois à Saint Joseph à la suite d’une explosion, place Bellecour à laquelle il est étranger. « Les ouvriers étaient pour la plupart des ouvriers habillés de manière modeste mais décente. Mais à peine avaient-ils passé l’uniforme de la prison (une veste brune couverte de pièces de toutes les couleurs pour couvrir grossièrement les trous et une paire de pantalons rapiécés, trop courts de vingt centimètres pour arriver à couvrir deux énormes sabots de bois) qu’ils sortaient abasourdis par la tenue ridicule qu’on leur imposait. Le premier pas du détenu dans les murs de la prison est de se retrouver avec un vêtement qui à lui seul raconte l’histoire d’une déchéance. » Déchéance qui sur la forme s’est transformée au cours des siècles, mais qui sur le fond est bien toujours présente.

En même temps que nous découvrons leur histoire, nous nous sentons proche de ses militants algériens, plus de 600 qui se mutinent le 15 avril 1958, ou des révoltés des années 70, qui forçent le gouvernement à entamer une profonde réforme de l’institution.

Tragique, cette photographie de Moussa Lachtar et Salah Delhi, derniers exécutés de guerre, prise dans la prison avec un appareil photo clandestin. Entre septembre 1959 et janvier 1961, onze algériens sont guillotinés à Montluc, plus que dans aucune autre prison métropolitaine !
Historique, celle de Giscard seul président de l’histoire de France à serrer la main d’un détenu (qui n’est d’ailleurs qu’un prévenu, n’exagérons pas ! ) qui prononce la phrase devenue culte dans les milieux associatifs : « La prison doit être la privation de la liberté et rien d’autre » (et pour l’anecdote, fort chère en droit de publication par l’AFP).

Prisons de LyonÉmus, comment ne pas l’être par le témoignage de Karine Bergne, « Orlano, autopsie d’un suicide« , ou celui de Jane Sautière « Fragment 51« . « Vous voyez, nous dis-tu, c’est là. Tu désignes les toilettes à la turc, surmontées d’un bouton poussoir. Quand je suis entré pour la soupe, c’était fini, déjà mort. Il s’est pendu accroupi, accroché au bouton ». On est là tous les trois. Muets autour de ces chiottes dans la figuration d’une pendaison à genoux, dans l’horreur qui monte … »

Aucunes visions manichéennes, il n’est pas question de bon ou mauvais gardien. Le témoignage Jean-Pierre, jeune « maton », nous montre bien que la passerelle est étroite entre ces mondes. « À l’époque quand on arrivait dans l’administration pénitentiaire la seule chose qu’on imaginait, c’était être fonctionnaire. Au bout de dix mois on ne vous disait plus bonjour, on vous disait au revoir. Nous, on est arrivé cinq, on est resté trois. Sur les trois il y en a deux qui ont été reculés de six mois pour leur titularisation. Un parce qu’il discutait avec les détenus : « chef j’ai un problème ». « De quel ordre ? » À l’époque c’était suspect. (…) On nous appelait l’équipe disco ! Après quelques années on s’installe dans la maison ! Et aujourd’hui on est des vieux cons. »

De ces dizaines de milliers de détenus, dont un grand nombre est décédés en prison, que reste t-il ? Quelques graffitis, comme celui-ci extrait du livre : « toi qui passes là ! Tant de misère depuis que ce mur est debout« . Ou cet autre : « Non je ne suis pas en cage je suis dans un caveau, où le soleil ne se lève ou ne se couche jamais« .
La vie carcérale est faite de détails, et ce sont ces multiples petites histoires parfois, qui nous éclairent sur ce monde que notre société voudrait tant nous rendre invisible. Cet ouvrage les révèle, sans oublier personne, ainsi ces familles qui ne connaîtront de la prison que le parloir, « cette antichambre des tendresses empêchées ».

Souhaitons que ce livre, développe l’esprit rebelle, à cet univers si douloureux. Et n’oublions pas, cette juste parole d’Albert Camus : « une société se juge à l’état de ses prisons. »

 

Franck Bonnéric

Prisons de Lyon. Une histoire manifeste Bernard Bolze aux éditions Lieux Dits.

*Désaffectée depuis 2009, la prison a reçu pendant quelques semaines la visite d’artistes qui ont laissé leurs empreintes dans les lieux, dont Ernest Pignon-Ernest et Georges Rousse.
Liste (non exhaustive !) des évènements liés à la sortie des Prisons de Lyon !