Pord WildAttention, ceci pourrait bien être un petit jeu*, à la cool : Minneapolis / Amphetamine Reptile records ; Cleveland / Choke Inc. ; Chicago / Touch And Go ; Austin / Trance Syndicate ; Baltimore / Dischord ; Saint Louis / Skingraft ; Oakland / Alternative Tentacles… Tout le monde pourra excuser cette manie de geek consistant à classifier un groupe selon sa maison de disques d’appartenance ; par contre elle peut sembler curieuse – et un peu snob – cette habitude de qualifier également un groupe d’après sa ville ou son pays d’origine.

Mais je l’avoue volontiers, quand j’étais gamin, découvrir que certains de ces groupes que j’adorais étaient issus d’une banlieue merdique et prolétaire d’Angleterre, regarder sur une carte des Etats-Unis où se situait la non moins merdique Ann Arbor puis, beaucoup plus tard, apprendre que tel groupe était natif de Louisville (dans le Kentucky, bien sûr je n’y ai jamais foutu les pieds) faisait aussi partie du rêve, tout simplement parce que cela rajoutait une part de (faux) mystère à l’attraction provoquée par la musique. Et je m’émerveillais toujours de tous ces américains (et parfois anglais) qui jouaient tous ces trucs complètement fous à mes oreilles. Tandis que les groupes français me paraissaient – précisément – trop français en ce sens qu’ils me semblaient ne pouvoir plaire qu’à un public autochtone et trop centré sur lui-même.

Bien sûr les choses ne sont jamais aussi simples. Par exemple, un beau jour, je me suis surpris à imaginer un gamin d’outre-Atlantique se demandant à quoi pouvait bien ressembler la ville d’Angers. Ou celle de Thionville. Et même – finalement – celle de Lyon. Tous ces groupes d’ici, de là et d’ailleurs qui me donnaient forcément tort, qui me faisaient comprendre que la musique qui me plaisait pouvait aussi naître au coin de la rue. Et donc je comprenais que l’essentiel était dans ce foutu rapport viscéral et organique et que le comment, le quand, le quoi ou même le pourquoi ne formaient qu’un simple contexte, éventuellement étirable à l’infini, selon toute la force d’imagination que je voudrais bien y mettre… OK : ce qui au départ ressemble à un détail amusant peut également se révéler d’un intérêt certain ; quand c’est David Thomas (Rocket From The Tombs puis Pere Ubu) qui, par exemple, raconte que la rivière qui passait derrière chez lui était tellement polluée par les industries pétrochimiques de l’agglomération de Cleveland qu’elle prenait feu toute seule – on comprend mieux alors toute l’étrangeté initiale de chansons telles que 30 Seconds Over Tokyo ou Final Solution.

Pord WildMais parlons de PORD. Pord a surgit de nulle part ou presque. La Lozère. Et voilà des types qui, bien que n’étant déjà plus vraiment des jeunots, ont fait preuve d’une innocence totale en enregistrant en 2007 une première démo s’appropriant parfaitement tous les codes connus du hardcore noise. Stupéfaction et orgasme : les amateurs de miracles se sont alors estimés comblés et heureux parce qu’ils pouvaient comparer – et comparent toujours – Pord à des groupes tels que Breach, Tantrum, Knut et surtout Dazzling Killmen. La crème de la crème.
Le plus beau dans cette histoire est que Pord a toujours déclaré qu’à l’époque le groupe ne connaissait rien à toute cette scène musicale, qu’il fonctionnait en autarcie, loin de toute agitation, parti tout simplement pour jouer uniquement la musique dont il avait envie, qu’il sentait au fond de lui, même confusément. Et j’ai toujours voulu croire à cette histoire, tout simplement parce que, précisément, elle était trop belle (depuis Pord s’est largement rattrapé en incluant dans son répertoire de scène ou enregistré des reprises bien senties de Six Horse ou de Dazzling Killmen). Suite à cette démo, Valparaiso, le premier album que Pord a publié en 2011, n’a fait que confirmer tout le talent du groupe ; il y avait bien longtemps que l’on n’avait pas entendu une musique aussi entière et crue, où la technique musicale déployée n’altérait en rien l’authenticité farouche du propos.

Et puis, parlons de la Lozère. Quelque part du côté de Marvejols et de Mende, un pays anciennement appelée le Gévaudan, vieille contrée célèbre pour ses magnifiques paysages, à la fois accidentés et secrets, à cheval entre les contreforts de ce bon vieux Massif Central et l’amorce de ce qui, plus au sud, devient le midi. Un pays de légendes avec sa bête immonde à laquelle Pord semble vouloir rendre hommage sur son deuxième album, intitulé Wild et publié en ce mois de septembre par l’excellent label clermontois Solarflare records.

Sachez que la gueule monstrueuse et les crocs aiguisés qui ornent la pochette du disque – dessinée par Rica, dont je vous invite instamment à découvrir le travail sur son site charkyyy.free.fr/blog – ne donnent pas de fausses indications : Wild est bien ce disque carnassier, sauvage (sic), violent, sanguinaire, mais également luxuriant et, finalement, généreux. Car écouter Wild ne fait aucun doute sur un point : malgré toute la hargne – toute la colère – que Pord nous assène, tout ici se résume à une fondamentale question d’échange voire de communion, le groupe réalisant cette prouesse de plus en plus rare de nos jours de rendre intrinsèquement positive sa rage indomptée.

Pord WildCelles et ceux qui ont suivi Pord ces deux dernières années ont également vu le groupe prendre de plus en plus d’ampleur. Et Wild est parfaitement à la hauteur des concerts et de l’ascension exponentielle du trio. On retrouve sur ce deuxième album toute l’intensité que Pord déploie sur son terrain de prédilection, la scène**. Voilà un groupe qui ne lâche jamais rien et on pouvait craindre un éventuel fossé entre la fougue des concerts et les enregistrements en studio or, finalement, il n’en est rien.
Grâce en soit rendue à Serge Morattel, ingénieur du son basé en Suisse et au curriculum vitae impressionnant mais très typé (Tantrum, Spinning Heads, Knut, Overmars, Impure Wilhelmina, Year Of No Light, Cortez…) ; il a su restituer tout le relief, à la fois sévère et sec, de la musique du groupe, entre fulgurance contondante et ampleur absolue. Il faut dire aussi que les six ou sept titres qui composent Wild offrent une palette bien plus large que précédemment : on pouvait reprocher au premier album Valparaiso sa trop grande homogénéité frénétique or, en multipliant les ambiances, en appuyant davantage sur les mid-tempos voire en ralentissant dans la brume, Pord donne à Wild toujours plus de force et d’attrait. On peut reconnaitre un grand disque à ce qu’il vous plait d’emblée et à ce que chacune de ses nouvelles écoutes, loin d’apporter la lassitude, dévoile sans cesse de nouveaux trésors et déclenche de nouveaux émois. C’est très exactement le cas de Wild.

 

Hazam.

* et c’est pour de vrai : je paie un godet du breuvage de son choix à la première personne qui enverra au Zèbre (il faut utiliser le formulaire de contact) la liste exacte de tous les groupes associés à ces noms de villes et de labels mais, attention, il y a des pièges ! – la gagnante ou le gagnant sera invité(e) à retirer son gros lot à la Coopérative du Zèbre, 22 rue Jean-Baptiste Say, Lyon 1er, https://www.facebook.com/pages/La-coopérative-du-Zèbre/360383333978622
** Pord est actuellement au beau milieu d’une copieuse tournée de quatre semaines et dont voici les dates françaises :
Le 23 septembre à Dijon / Deep Inside avec Don Aman
Le 24 à Lille / Centre Culturel Libertaire avec les excellents Drive With A Dead Girl
Le 28 à Vesoul / le Café Français avec You Witches
Le 29 à Paris / Point FMR avec les vétérans d’Hammerhead et les jeunots de Purple Mexican Wine
Le 30 au Havre/ Mc Daid’s, toujours avec les vétérans d’Hammerhead
Le 1er octobre à Nevers
Le 2 à Nommay/Montbéliard avec les géniaux Welldone Dumboyz
Le 3 à Reims / Maison de Quartier Duquesne
Le 4 à Rennes / Jardin Moderne dans le cadre du 20ème anniversaire de l’association KFuel
Le 6 à Orléans / Le 108 avec les italiens de Zeus !
Le 7 à Poitiers / Le Zinc avec les ignobles Sofy Major
Le 8 à Toulouse / Les Pavillons Sauvages
Le 9 à Nîmes / Akoustic Café
Le 11 à Lyon / Les Capucins avec Lahius