Pop 1280

L’histoire musicale a déjà maintes fois prouvé qu’en matière de rock l’émulation mais aussi le pompage sont quasiment une règle d’or. Citons Jimi Hendrix reprenant non seulement le Day Tripper des Beatles mais émaillant nombre de ses prestations live de riffs empruntés ça et là aux Fab Four (même traitement pour le Sunshine Of Your Love de Cream par ce même Hendrix) ; citons encore les Beatles rendant hommage à Bob Dylan en 1965 sur le superbe You’ve Got To Hyde Your Love Away ; citons Brian Jones, obsédé par le perfectionnisme pop et psyché des Beatles – oui, toujours eux – et tentant d’en faire entendre sa propre version (les albums Their Satanic Majesties Request et le trop sous-estimé Between The Buttons, tout deux parus en 1967). On continue l’énumération ?
…Pas la peine. Et on en revient invariablement à un pseudo système d’équations comportant tellement de paramètres qu’il en devient aussi insoluble que passionnant mais, finalement, réductible au simple petit jeu de la poule et de l’œuf, lui aussi sans fin. Par exemple, juste pour rigoler : sans Robert Johnson pas de Muddy Waters ; sans Muddy Waters pas d’Hendrix ; sans Hendrix pas de Tony Iommi ; sans Tony Iommi pas de Dave Murray (Iron Maiden) et donc pas de Kirk Hammet (Metallica). Autre exemple, à peine plus sérieux et en reprenant les choses à partir d’Hendrix : sans lui mais aussi sans Lou Reed pas de Thurston Moore (Sonic Youth) tandis que sans Bo Diddley pas de frères Reid (Jesus And Mary Chain) et donc pas de rock noisy et autres foutraqueries mégasoniques, etc. Les raccourcis ont ceci de savoureux qu’ils sont à la fois terriblement limitatifs alors qu’il faut avant tout les prendre comme des portes à ouvrir. Donc allons-y gaiment.

pop-1280 2La nostalgie, camarade ? Je ne suis, par contre, pas comme Simon Reynolds, brillant journaliste anglais et auteur de Retromania*, qui estime que le rock et la pop-music ont déjà tout dit depuis longtemps, que la musique c’était mieux avant et que désormais toute création musicale nait uniquement du copiage, de l’imitation pure et simple voire du pastiche. Je trouve au contraire que la musique, depuis que l’industrie du disque s’est logiquement cassée la gueule en se faisant prendre à son propre piège à cons avec l’avènement du (presque) tout numérique, n’a jamais été aussi riche et variée, source multiple de plaisirs et de découvertes. Comme si les indépendants reprenaient enfin le dessus face à l’hégémonie économique de l’industrie musicale, après avoir tiré les leçons du téléchargement – légal ou pirate – pour à nouveau faire entendre ce que signifie le mot créativité.
Il fut un temps ou les majors – parfois en se cachant sous le nom de faux labels « indépendants » montés de toutes pièces pour l’occasion – publiaient des grands disques, des disques acharnés et/ou complètement déjantés : Fun House des Stooges est sorti sur une major ; Trout Mask Replica de Captain Beefheart également ; et puis il y a aussi, la liste est non exhaustive, Paranoïd, Tago Mago, Never Mind The Bollocks, Entertainment !, Chairs Missing et 154, Psychocandy, Nevermind et In Utero, Rid Of Me… Aujourd’hui tout ça est bien fini, les majors en sont réduites à rééditer les disques de Nirvana sous la forme de boxsets de luxe (donnant raison au point de vue très critique de Simon Reynolds) alors que la plupart du temps les petits labels continuent de publier des nouveaux enregistrements par des musiciens et groupes nouveaux, eux aussi**.

Sacred Bones est de ceux-là. Basé à New-York, ce label est une fourmilière de talents mais semble également faire preuve d’une ouverture d’esprit à faire pâlir de jalousie n’importe quel directeur artistique – tiens, encore un job improbable qui mériterait de disparaitre en même temps que les grosses maisons de disques. Avec des noms aussi différents que Zola Jesus, The Men, Cult Of Youth, Marissa Nadler, Crystal Stilts, Slug Guts, Led Er Est, Amen Dune ou Moon Duo, Sacred Bones possède effectivement l’un des catalogues parmi les plus étonnants du moment, catalogue lui attirant également les foudres des puristes qui ont du mal à voir – et ça peut se comprendre – ce que Zola Jesus, sorte de poupée pop gothique, peut bien faire aux côtés des Slug Guts, adeptes eux du swamp rock et de l’alcool frelaté.

Le meilleur groupe du label ne figure cependant pas dans la liste énumérée ci-dessus : POP. 1280 est en effet le fleuron de Sacred Bones, toutes catégories mélangées. Et voici également un groupe qui démontre avec un savoir-faire confondant que l’on peut remettre goût du jour une musique vieille de trente ans sans pour autant tomber dans la Rétromania décrite par Simon Reynolds. Si la musique du groupe a évolué au fil des enregistrements, on peut quand même vous affirmer que les quatre Pop. 1280 – le nom du groupe est tiré d’un bouquin de Jim Thompson paru sous le titre français de 1275 Âmes – jouent du post punk, c’est-à-dire ce genre de musique énervée et dépressive, née après les déflagrations des années 1975/1977 et privilégiant l’âpreté, la froideur et la dureté, non sans parfois donner envie de se trémousser comme un zombi.

Pop 1280

Plus précisément, The Grid, premier EP huit titres de Pop. 1280, vaut surtout pour le tube Stop Into The Grid (en écoute ci-dessous) et c’est essentiellement à partir de l’album The Horror (2012) que le groupe a définitivement trouvé ses marques en mélangeant allégement froideur post-punk, frontalité no-wave (en partie grâce au jeu de guitare), mélodies déprimées à l’aide d’un synthétiseur sépulcral, rythmiques tribales et chant mi distancié mi vindicatif. Il plane une forte odeur new-yorkaise sur The Horror ou plutôt on devrait parler d’une odeur made in Brooklyn puisque il est indéniable que la musique de Pop. 1280, alors au plus profond de ses névroses, possède quelques traits de caractères en commun avec le Cop Shoot Cop de l’époque Release (analogie on ne peut plus flagrante sur un titre tel que Burn The Worm).
Publié à l’été 2013, Imps Of Perversion, très attendu deuxième album de Pop. 1280, poursuit la veine explorée sur The Horror tout en se montrant un tantinet plus aéré. Et quelque part c’est tant mieux : le groupe y gagne en stature ce qu’il perd en instabilité animale et Imps Of Perversion est de très loin le disque le plus homogène et le plus efficacement construit de Pop. 1280, délaissant quelque peu le côté indus mutant du départ.

Pop. 1280 tournant en Europe en ce mois de février, l’occasion nous sera enfin donnée de confirmer de visu tout le bien que l’on pense de ces new-yorkais. A l’heure où vous lirez ces lignes la date du 2 février à Lille sera déjà passée mais il est reste celles du 3 à Paris, du 4 à Nantes ainsi que celle du 5 à Toulouse. Enfin, pour Lyon, c’est au Sonic que cela se passera, le jeudi 6 février avec les locaux de Red City Noise . Le Sonic ça se trouve au 5 quai des Étroits, Lyon 5ème.

Hazam.

 

* Rétromania a été publié par les Editions Le Mot Et Le Reste mais Simon Reynolds est aussi – et surtout – l’auteur de Rip It Up And Start Again, paru lui aux Editions Allia et consistant en une longue étude consacrée au post punk, à la new-wave et à la new pop dans les années 1980
** mais lorsque les labels indépendants se mettent à imiter les majors cela fait vraiment mal aux dents : Touch & Go vient en effet d’annoncer une réédition du mythique Spiderland de Slint limitée à 3000 exemplaires et pour la modique somme de 150 $, on nage vraiment dans le n’importe quoi…

Pop. 1280 – Stop Into The Grid

Pop. 1280 – Bodies In The Dunes

Pop. 1280 – Lights Out