Soyons un peu sérieux deux secondes. En anatomie le terme de « plèvre » désigne une membrane séreuse – c’est-à-dire toute lisse, translucide et recouverte d’une couche de liquide – qui délimite les deux côtés d’une fine cavité intérieure et parfaitement close se situant au niveau du thorax et des poumons qu’elle enveloppe. La plèvre sert ainsi de revêtement interne à cette cavité et donc la protège. Le rôle de la plèvre et de la cavité pleurale est d’atténuer les frottements mécaniques dus à la dilatation et à la rétractation des poumons (la respiration, quoi). Autant dire que lorsqu’il y a un liquide étranger, sang ou eau, ou de l’air qui envahit la dite cavité, cela augure mal pour la suite des évènements et annonce des douleurs épouvantables, symptômes de pleurésie, inflammation due à un lupus, cancer, etc. Mais pour les gentils mélomanes amateurs de chaos musical destructeur, PLÈVRE est surtout le nom que s’est choisi un jeune groupe formé il y a moins de deux ans par quatre lyonnais adeptes d’une musique odieusement ravagée et dégueulasse.

Dégueulasse est tout à fait le mot qui convient. L’introduction très médicale de cette chronique pourrait faire croire que je vais sournoisement en profiter pour embrayer sur une métaphore filée au sujet du goregrind ou du deathgore, vieux genres abominablement spécialisés qui, de Carcass à Impaled en passant par The Last Days Of Humanity ou Regurgitate, avaient su allier descriptifs monstrueux et répugnants à base de cadavres humains en décomposition, mutilations diverses et autres atrocités joyeuses – au cinéma cela avait donné dans les années 80 des chef-d’œuvres cheap absolus de drôlerie et d’absurdité tels que Street Thrash, Reanimator et bien sûr Brain Dead ou Bad Taste. Mais, non, le cas de Plèvre est beaucoup plus simple : il s’agit ici de faire mal, directement, sans fioritures ni artifices. Alors, me demanderez-vous, pourquoi tant de haine ? Plèvre est un groupe qui, malheureusement, reflète que trop parfaitement son temps. Or la météorologie contemporaine de notre monde semble irrémédiablement bloquée sur la position orages de merde, décomposition d’une humanité qui s’entredéchire voluptueusement au nom d’idéaux économiques ou religieux absurdes et destruction d’une vie terrestre à laquelle même les plus optimistes ont désormais bien du mal à trouver un avenir ou bien, à défaut, à donner un quelconque sens. Alors si la musique de Plèvre est aussi violente et aussi sale c’est autant par pessimisme acharné que par rejet.

 

Résultat : on a réellement du mal à respirer pendant les quelques minutes que dure ce premier enregistrement qui ne se perd jamais en conjonctures – sa courte durée en faisant un EP gravé, précision d’importance pour les fétichistes, sur un vinyle monoface de 12’. On y subit les assauts répétés de rythmiques humainement intenables, on se fait étriper par des riffs de boucher diabolique, on se fait broyer les os par des breaks de psychopathe et on se retrouve en permanence souillé et meurtri par un chant à mi-chemin entre dégueulis fielleux et grincements orduriers. Le hardcore teinté de grind et de dissonances de ces petits gars ne plaisante donc absolument pas. On pourrait bien sûr objecter qu’une telle haine n’apporte rien ou, plus précisément, qu’elle ne fait que rajouter, par dégout profond ou par dépit douloureux, des stigmates supplémentaires à un monde déjà stigmatisé au plus haut point. Mais pour ma part, je partage souvent ce sentiment de désillusion destructrice et d’impuissance aveugle qui ne peut trouver d’échappatoire que dans le défoulement dépressif et la libération du fiel, hop directement dans le sac à vomi. Ce que nous transmet ce disque assassin et inévitablement nihiliste consiste uniquement en un acte d’exorcisme momentané, une amputation sans fin et qui donc n’a rien d’une libération ou d’une délivrance.

Le disque bénéficie en outre d’un son colossal en ce sens qu’il est aussi enveloppant et impérieux – efficace diraient les sportifs un peu chiants et adeptes du hardcore musculeux – qu’il est dégueu, brutal et nauséeux. C’est l’intraitable Amaury Sauvé que l’on connait déjà pour son travail avec As We Draw, Birds In Row, Death Engine, Nine Eleven, The Rodeo Idiot Engine (parmi tant d’autres) qui a mis en boite ces sept titres, retrouvant au passage le son grésillant, fiévreux et malsain dont le groupe fait preuve en concert. Plèvre rejoint ainsi Fange dans mon petit panthéon personnel des groupes locaux (et récents) qui envisagent leur musique comme une énorme masse sonore à laquelle ils s’attaquant frontalement et sans répit. Et si la musique de Plèvre n’était pas aussi rapide je prononcerais alors bien volontiers le terme de sludge (« boue ») qui désigne un hardcore viscéral, désespéré et (auto) destructeur.

 

L’édition en vinyle de ce premier enregistrement de Plèvre a été rendue possible grâce aux efforts conjugués de Basement Apes Industries, Decibels For Us (orga du guitariste de Plèvre et qui a également réalisé la pochette), Dingleberry records, Division records et Grains Of Sand records ; il existe une version cassette via Vox Project ; les amateurs de CD pourront eux toujours essayer de voyager dans le temps jusqu’à la fin des années 80 / début des années 90, à une époque où les quatre membres de Plèvre n’étaient même pas nés. Enfin, Plèvre sera en tournée du 14 au 21 février avec leurs copains d’Anna Sage (excellent groupe parisien adepte du chaos pour tous). Je vous donne les dates françaises : le 14 février à Lyon et au Trokson (toujours dans les mauvais coups) et le 15 au Black Sheep de Montpellier.

 

Hazam

 

 

Plèvre – self titled :