La dernière salve d’imbrications rhodoïdes de Fabrice Jac vient s’accrocher à Lyon. Minutieuse, graphique, déchirée, suturée… retour attendu pour sa première exposition solo depuis trois ans.

Les nouvelles pièces patientent. Droites, sur l’établi recouvert par les copeaux de vieilles radiographies. Elles patientent sous l’œil sévère des précédentes. Il y est question de tension, corps et âme. Il y est question du mystère, d’un monde obsédé de transparence, mais bouffi de reflets. Il y est question de hurlements sertis d’allusions géométriques.

Les nouvelles pièces sont recroquevillées au coin de l’atelier abrité d’une maisonnette, au fond d’un quartier enclavé. Juste derrière la moto, qui n’a pas servi depuis deux ans, depuis l’accident. Abrité, mais ni amer, ni secret, Fabrice Jac est un homme discret. Un mec bien, qui contraste avec cette tension dans ses œuvres, cette rigueur, cette obscurité. Des déchirures suturées d’agrafes, de fils entortillés avec la méticulosité insomniaque d’un collectionneur d’insectes. « J’aime bien la couture, c’est vrai… » demi-sourire, paupières pointées vers les souliers. Les déchirures, ça remonte à loin, loin derrière le sourire, calcifiées dans le squelette. Il s’est essayé aux beaux-arts, en a été renvoyé. Il a alors posé crayons, pinceaux et tubes de colle pendant vingt ans, à se bercer de la petite musique des autres. Et puis la vie, de nouvelles catastrophes, un effondrement. Un trop plein de lave brûlante qui lui ronge l’intestin, ce deuxième cerveau. S’enfermer et produire. Pas question de montrer. Il sait qu’il n’a aucun talent, à quoi bon. C’est jute une opération de sauvetage. Il n’y a pas d’œuvre, pas d’intention. Il n’y a qu’une solution pour ne tuer personne. Enfin, le but est aussi de rigoler. Fabrice Jac est enjoué, de bonne humeur. En tension, toujours. C’est passionnant l’être humain. Comment imaginer qu’il puisse faire tant de mal ? Suprématisme dada, presque belge…

Marianne (1)

Marianne (détail)

 La toile colle à l’époque, technique, translucide et angoissée. Comme le claquement d’un néon clignotant de fatigue, secoué de pulsations industrielles. Un spasme d’électricité statique. Elle pourrait servir de décor aux nuits sonores, à un congrès de neurosciences, à la couverture du prochain disque de PNL. Et pourtant, elle est familière, comme une de ces vieilles affiches de la révolution russe. Du rouge, du blanc, du noir. Un prolongement de son oncle Mad, le plasticien. Du rouge, du bleu, du jaune, les couleurs primaires suffisent. L’œuvre n’est pas bavarde, elle n’est pas savante. L’imbrication est graphique, mais elle crie comme une gargouille de Münch. Elle a le sourire malicieux de Duchamp, les genoux cagneux de Bosch, l’arthrose de Velasquez, le zob de Combast et les ongles de Basquiat. Tout est connu. Et inédit. C’est la fête des morts débarrassée du Mexique. Calques, rhodoïdes, radiographies. Verre, lombaires, douleurs intercostales. Les transparences triturées, rien n’est transparent, rien n’est jamais vraiment su. Tout est démembré, l’époque est hors de ses gonds. Le monde est à recoudre, le monde est à agrafer. Le ventre du temps est fécond d’événements qu’il nous reste à voir naître. Tout homme est un monde. L’époque s’obsède à se contempler, à se décortiquer, elle doit apprendre à faire la paix avec son propre mystère, ses cicatrices de carton. Les fémurs radiographiés sont amenés par les copains, les clients. Bigre, la mâchoire de sa Marianne est peut-être celle d’une mère décédée. Des ailes de sphinx. Des carrés, des ronds. « Je ne suis pas trop triangles… », confesse-t-il.

« Tu veux, une clope ? Un café ? Elle te plaît, cette toile ? Alors tu l’emmènes…».

Un homme rétabli par son travail. Un homme qui est le produit de son travail, plus que son travail n’est produit par lui. Cinq ans dans son atelier, sans rien montrer. Cinq ans à remonter les pentes, s’aventurer à croire ses mains et ses yeux, plus que sa tête et son cœur. Allez, montre-toi. Une expo, pas facile à assumer quand on n’a pas de talent. Puis deux, puis dix, vingt. Le voilà affublé d’une cote, heureux et gêné, comme un gamin dans ses chaussures neuves. Comment veux-tu parler de tout ça, quand c’est si nécessaire… Ce serait si bien d’être un auteur mystère, un daftpunk. Quatre ans pour rédiger une demi-page de présentation et se dire que peut-être, il faudrait rajouter une image. Ou pas… Comment rester invisible, quand son nom commence à circuler hors des frontières hexagonales, que faire de toute sa discrétion. Ça lui coule dans les os et ça lui sort par les doigts, ce qu’il y a à partager : ça ne concerne pas le visage, pas la langue. Mais ça fait du bien quand-même, tout ce que chacun s’invente comme propre récit de ses toiles.

Il fallait repasser par la maison, à Lyon, avant d’être éparpillé par le succès rapide d’un artiste tardif. Accrocher des à-plats et poser des volumes, dans un dialogue jubilatoire avec les vieux complices, comme le chef Thierry Lhopital, pour proposer un pendant culinaire à ses créations sombres et joyeuses, s’assurer que la vie jaillisse de toutes les fissures. Et dire ensemble merde au chagrin.

 

Fabrice Jac. « L’utopie fatigue les escargots en transhumance ».

Mairie du 4ème Lyon. Du 12 au 27 mai 2017 – Vernissage le vendredi 12, 18 h 30

Fab 2 (1)