omar-souleyman01Autour d’un verre à la Coopérative, discussions de fin de soirée, Momo le poète kabyle me crie dans l’oreillette « tu nous bassines à la sono depuis 4 ans avec cet Omar m’a tué, et tu nous a même pas écris trois lignes sur lui. » Exact « my dear » mais j’ai du mal. Dans mon cortex le doute subsiste, vont-ils comprendre !

SUPER OMARIO !

Flashback, première rencontre, fond de synthétiseurs criards et de percussions, une rangée de personnes endimanchées, costards cravate pour les hommes, visages découverts et tenues orientales pour les femmes, danse la dabké. La scène, une fête de mariage en Syrie, visible aujourdhui sur le site YouToub. Au milieu des danseurs, un chanteur moustachu à keffieh et lunettes noires. Un rappel des deux Dupont déguisés en émir du pétrole dans Tintin au pays de l’or noir. Depuis 20 ans, Omar Souleyman écume les mariages où les invités le couvrent de billets de banques, en guise de remerciement. La grande Cheikha Rimitti ne nous a – t – elle pas habitués au même scénario ? Elle était la reine du chaâbi, il est pour certain, le roi de la dabké, cette musique festive traditionnelle syrienne.
« Synthés nasillards, boîte à rythmes aux percussions désuètes, productions méchamment lo-fi, » Omar Souleyman confectionne une fusion d’électro et de dabké, qui se danse frénétiquement, en cercle, en hommage au geste ancestral de piétinement du torchis utilisé pour les toits des maisons. Hyper populaire pour les mariages, les fêtes mais aussi dans les bars et dans les restaurants. Une musique qu’il a su faire évoluer, mais il n’est pas le seul : « Quand j’ai commencé, le dabké n’était pas aussi rapide. Je l’ai accéléré grâce à des claviers et aux nouvelles technologies (électrifié à l’aide d’un saz et de synthés plutôt cheap). » Il ajoute brièvement : « Je ne fais plus beaucoup de mariages, plus du tout d’ailleurs, à cause de la situation en Syrie. Ça m’attriste énormément. »

omar-souleyman 2La première à ne pas se tromper c’est Björk, la rock-star islandaise lui confie le remix de Crystalline sur son album Bastards sorti en novembre 2012. Et nos amis du Transbo qui l’avait programmé pour une soirée mémorable.
Malgré une formidable récupération par les milieux de la trans, producteur de kitch ou de derviche tourneur d’un temps, édité chez le très avant-gardiste label Sublime Frequencies de Seattle, spécialisé dans les découvertes de musiques world exotiques, Souleyman reste fidèle aux traditions.

Regardez près de lui, un homme plutôt paisible, Mahmoud Harbi, qui fume clope sur clope, et se penche de temps en temps pour lui chuchoter les paroles à l’oreille. Ils jouent l’Ataaba, la poésie traditionnelle au cœur du dabké. Souleyman le transforme immédiatement en chanson et emmène son public à l’aide de synthés cheap stridents et de percussions, dans un tourbillon trash et traditionnel.

Si les amateurs de jeux vidéo l’ont surnommé Super Omario, à cause de sa moustache et des improbables sons de synthétiseur, pas de souci, le monde occidental n’est pas le sien, le son revient par mélopée sur de vieilles complaintes arabo-mésopotamiennes. Derrière ses lunettes noires semble percer un sourire qui en dit long …

THE LONG ROAD

Ne l’oublions pas, Souleyman est syrien, et lui ne l’oublie pas. Lors d’une conférence de presse à Seattle, mais aussi lors de son dernier passage à Beyrouth, il a longuement raconté les dangers et les difficultés qu’il a rencontrés lors d’un voyage cet été pour un spectacle de collecte de fonds (le tout produit bénéficiant aux initiatives de la Croix-Rouge américaine pour les victimes de la guerre syrienne.).

Cette histoire, c’est ce que vivent aujourd’hui tous les Syriens, quelques soient leurs régions d’origine, leurs options politiques, philosophiques ou religieuses, poussant les plus fins connaisseurs de ce pays dans le silence face à l’horreur d’où qu’elle vienne.

omar-souleyman 3Le vrai problème a commencé quand Souleyman a dû trouver son chemin de retour à destination de Sanliurfa pour prendre son avion. Plus de bus, seule solution, la voiture, outil habituel pour se transporter au Liban . « Je suis allé à la station de bus et ai demandé à un chauffeur : Frère, à quelle heure partez-vous ? J’ai besoin d’être à Ar-Raqqah avant 8 heures [ville d’Al-Jazira, la région du nord-est de la Syrie d’où Souleyman est originaire]. » Il dit : « Tu peux venir avec moi, mais il y a un cadavre dans le van.  » J’ai dit : «  Non« . Je suis allé à la prochaine voiture : « Mon frère, j’ai besoin que tu me prennes d’ici à la frontière turque« . Il a demandé 43 000 livres syriennes [400 $]. Le conducteur voulait l’argent tout de suite. J’ai appelé un ami en Turquie et lui ai demandé de me retrouver à la frontière afin que nous puissions payer le taxi. Quand j‘ai dit au chauffeur que je le paierai quand nous serions arrivés à la frontière turque. Il me répondit : « Non, je ne veux pas y aller. La route est mauvaise, pleine de meurtres et de dangers. « . Je lui ai dit : « Écoutez, je suis Omar Souleyman.  » Il a dit, » vous êtes Omar Souleyman ? Je ne vais pas prendre votre argent jusqu’à ce que nous soyons arrivés. « J’ai dit : » Ok « .
Après avoir quitté Beyrouth, sur la route entre Tartous et Homs [en Syrie], nous apprenons qu’un gang agresse les passagers des taxis pour voler leur argent, leurs voitures et les tuer. Vingt kilomètres avant Homs, l’armée nous arrête, « La route est bloquée. Il y a des coups de feu. » Nous répondons : « laisse cela à Dieu » et j’ai dit au chauffeur de partir.

omar-souleyman 4On continue jusqu’à la périphérie de Homs. Personne dans les rues, aucunes voitures hormis la nôtre. Premier point de contrôle à l’entrée. À chaque instant on entend le bruit d’une bombe qui explose. C’était en plein milieu de Homs, dans la zone de Bab Omaret de Mouawad Dahab, zone à risque. On continue.
Après plusieurs contrôles, nous arrivons à un rond point, coup de feu, le goudron et les gravats explosent… Par chance, le sniper visait le centre de la camionnette, s’il avait visé l’avant, il nous aurait touchés.
Nous sommes arrivés à Tadmor, il n’y avait rien. Direction Ar-Raqqa, des amis à qui nous téléphonons nous disent : « attention, les avions vont vous frapper. Les voitures sont attaquées sur cette route« . Arrivés à Ar-Raqqa, la route vers la frontière turque a été fermée. Quelle heure était-il ? Six heures du matin. Trois autres heures jusqu’à la frontière. Après de multiples péripéties, on passe les contrôles douaniers (…)

Je suis rentré à 10h. Tout d’abord, j’ai pris une douche. J’ai prié. J’ai fait du thé. J’ai fait le petit déjeuner.

DJ Pompidou

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