Projet artistique de Romuald&PJ

 

Monsieur Bidule

Monsieur Bidule

Il y a des flashs de lucidité douloureux. D’abord une claque qui fuse et te laisse sans mots. Puis, passée la sidération, la pensée tente de se recomposer. Elle hésite, se tourne à droite, regarde à gauche, cherche d’où est parti le coup et pourquoi. Elle pressent que ce n’est pas bon. L’esprit aspire à s’extraire de lui-même pour accéder depuis un autre angle à la réalité des choses. Décaler son expérience. Il ne veut plus être seulement lui, il veut s’élever, se dédoubler du corps, se dépouiller de ce qu’il est. Il a besoin de comprendre. Derrière le mal-être qu’il éprouve, cette impression que la vie est poisseuse, pesante, et que, désormais, tout sera plus difficile, douloureux, et peut-être un peu vain. Comme si le voile du divertissement pascalien* s’était déchiré et que l’esprit ait fugacement entrevu l’horreur d’un monde qu’il ne pourrait habiter. Le poison du doute est instillé ; si la pensée demeure ainsi, perméable et fragile, toutes ses certitudes seront bientôt grignotées. Insupportable.

C’est à ce type d’expériences que Monsieur Bidule nous invite à échapper. D’ailleurs il n’y a pas si longtemps — la semaine dernière pour tout dire —, je me suis surpris à souhaiter que quelqu’un m’ôte le cerveau. Une bonne petite trépanation et, hop, je pourrais moi aussi devenir Monsieur Bidule, ce spectateur béat du monde étanche au malheur. Une bénédiction.

Mais qui est Monsieur Bidule ?

D’un point de vu anatomique, Monsieur Bidule est à mi-chemin entre l’homme et le lampadaire.
D’un point de vue sociologique, Monsieur Bidule est une émanation de l’ère du temps : un individu qui consomme le monde sans malice mais avec application. Il a une famille, des amis et il aime les lolcat trop mignons qu’il regarde sur YouTube. C’est normal car, le gentil Monsieur Bidule est vite attendri. Monsieur Bidule voyage quand il est en vacances et n’hésite par à partager sa vie sur Internet, souvent pour poster des selfies dans des endroits touristiques. Sur la dernière photo qu’il envoie depuis Facebook, Monsieur Bidule pose avec des demoiselles tout sourire à l’endroit même où Franco lança une bombe. Cool. Quand je disais que Monsieur Bidule échappe au glauque… La coque entourant l’esprit de Monsieur Bidule le protège efficacement du monde.

Monsieur Bidule

Monsieur Bidule

Si la philosophie commence par une question, alors Monsieur Bidule se situerait plutôt du côté de la réponse. Mais cela, si Monsieur Bidule était philosophe ! En réalité, Monsieur Bidule n’a pas plus d’interrogation que de solution. Et c’est précisément ce qui sauve la félicité bonhomme de Monsieur Bidule. Dans son acquiescement creux, Monsieur Bidule ne propose pas de réponse, il est la réponse. La réponse de l’époque au droit de chacun et de tous à un bonheur tranquille, fut-il au prix d’une légère anesthésie de la conscience. Tel est le divertissement selon Pascal, donc, qui écrivait que « Les hommes n’ayant pas pu guérir la mort, la misère, l’ignorance, ils se sont avisés, pour se rendre heureux, de n’y point penser » (n°168). Encore faut-il y parvenir ! Ce qui peut nécessiter toute la constance et l’application de Monsieur Bidule, et sûrement aussi sa physiologie particulière…

Tout n’est pourtant pas si lisse, car Monsieur Bidule est l’obéissante créature de Romuald&PJ, le duo d’artistes de feu la Galerie des Pentes. Engagés et militants, ils mènent ici un projet artistique à rebours de ce qu’il parait. Ainsi, d’un point de vue stylistique, Monsieur Bidule serait plutôt une antiphrase et, tout sympathique qu’il soit, il sonne comme un immense grincement d’ironie.

Gus
* Le divertissement pascalien renvoie à la fuite en avant décrite par Pascal. Pour éviter de penser à la mort, on papillonne, on s’éparpille, on somnole en cédant son temps de cerveau disponible à Coca et, quand on se réveille, il est trop tard.

 

bidulete_te-66e0bbidulete_te-66e0bMonsieur Bidule s’expose : «  24 heures de la vie ordinaire de Monsieur Bidule  » – Hommage à Michel Journiac.
À voir dans l’expo FAIS PAS GENRE au Pola Café, à partir du jeudi 22 janvier. Village des Créateurs – Passage Thiaffait – 19 Rue René Leynaud – 69001 Lyon.

 

VIDÉO BIDULE

 

 

 

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