Leçon de chose n°3 : Le savoir pour lui même

mon-pire-plan-cul-3 1Pan ! En plein dans mes vacances. Forcément. En plein mois d’août, cette saloperie de messagerie vocale me susurre d’une voix métallisée : « désolé, il faut que tu te rendes en Finlande, tout de suite. Mais seulement pour 24 heures, il faut que tu rencontres quelqu’un mardi matin. Nous t’avons pris un billet d’avion et réservé un hôtel ». Un côté James Bond, dit comme ça, mais non : il s’agit simplement d’enchaîner les attentes aéroportuaires et les vols annulés, avec changement à Amsterdam et Oslo, dont je ne saurais jamais rien.

Arrivé à Helsinki, je jongle entre les bus, galérant au gré d’indications incompréhensibles, pour échouer dans un hôtel de banlieue en forme de gratte-ciel, au milieu des pâtés préfabriqués porteurs d’enseignes internationales rassurantes. Seul point positif, le soleil se couche tard en août, à Helsinki. Je commande une grande bière. On m’en amène un litre, autant niquer le touriste. Je file en terrasse pour profiter du soleil jamais couchant. Je ne suis pas encore assis que me voilà flatteusement dévisagé de pied en cap. Je me sens beau, c’est bon. Plus beau en tout cas que celle qui me scanne ainsi, une sorte d’inuit, quinze ans de plus que moi, format local, c’est-à-dire un mètre cube, une stère de bois à figure de poisson plat, à laquelle on aurait greffé une imposante poitrine. Pas séduisante, donc, mais esquimaude…Elle approche en chaloupant pour me taper une cigarette, je lui offre une bière. Elle ne parle quasiment pas anglais, ça accélère le trouble de la relation. Elle vit dans un petit îlot HLM relégué entre la voie rapide et les préfabriqués, si ça m’intéresse de visiter, elle a un truc à faire, mais suggère de me laisser découvrir sa nuisette une heure plus tard. Woaow… Une esquimaude à tête de poisson. Évidemment, je l’y rejoint.

Je monte les escaliers dans les relents de pisse. Sexy. Je sonne. Elle ouvre. Elle s’est enfilé, en plus de la nuisette, une demi-bouteille de vodka en m’attendant. L’esquimaude est fin bourrée. Elle ressemble à un bidibule carré en crinoline rose. Une drôle de mélopée monte derrière une porte, oaaaowaaoawaaa… Un son continu, un peu contrarié, je pense à un CD de chants chamaniques destinés à protéger nos ébats futurs des esprits maléfiques. Elle me détrompe : c’est sa fille infirme moteur cérébrale dans la chambre d’à côté, une adolescente qui est à la fois son seul grand amour et le cauchemar qui a ruiné sa vie. D’où la vodka. Mais il ne faut pas que je m’inquiète, me dit-elle. Bon, une esquimaude bourrée dans un HLM pourave, avec sa fille handicapée qui nous berce de son hululement, je commence à chercher une sortie honorable. Elle déplie maladroitement son clic-clac, trop tard pour fuir.

L’esquimaude m’entraîne dans un effeuillage lascif mais tient à conserver son soutien-gorge, sans doute une coutume locale, chouette. Ah non, elle me fait comprendre en langage des signes qu’elle a subi une ablation du sein suite à son cancer, ça l’a rendu pudique. Ouch. Plus qu’une chose à faire, foncer. Jouer au Tétris avec nos corps au plus vite, remercier poliment et me retirer sur la pointe des pieds.

Je m’emploie donc de mon mieux au contact de ce corps cubique. La France a un rang à tenir, que diantre… Mais, effet de l’alcool ou de mon incompétence, la dame s’ennuie. Au milieu de la besogne, la voilà qui se saisit de la télécommande, pour conjuguer sexualité exotique et divertissements télévisés. Les programmes ne l’intéressant guère plus que mes prouesses, elle s’est employée à zapper compulsivement, jusqu’à ce que petite mort s’en suive. Elle était souriante, ensuite. Je me suis levé, j’ai pris une douche et suis rentré. Le gratte-ciel hôtelier impersonnel qui m’attendait me semblait désormais une promesse de tanière, ma Heimat.

mon-pire-plan-cul-3 1Cherchant en vain le sommeil, je ressassais. Pourquoi m’étais-je retrouvé dans une situation aussi merdique ? Pourquoi n’avais-je pas réussi à interrompre le film cauchemardesque qui s’empirait à chaque minute, alors qu’il eut été si simple de clore poliment la scène ? Peut-être cette fichue nécessité de me maltraiter, de me descendre à la hauteur où je m’estime. Le même plaisir que celui de vomir dans les caniveaux du bout de la nuit. De la tendresse aussi un peu, mais que faire de la sexualité face à une détresse si profonde, c’est moche de profiter, ou gentil de partager ? Je ne saurai pas. Peut-être aussi la curiosité pour l’inconnu. Une esquimaude à un sein, quand-même, c’est quelque chose… Notre insatiable curiosité de savoir, l’essence de l’être humain. Spinoza. Le principe de vigilance et le devoir d’inattendu. C’est en se positionnant face à l’inattendu que nous nous constituons comme sujets. Toujours découvrir pour mieux déterminer ce qui est bon pour nous de ce qui ne l’est pas. Ce qui suppose de découvrir aussi ce qui ne l’est pas. Voilà qui fut fait.

 

Sous-Commandant Marco