Les Castagnettes de Carmen # 33

María de Buenos Aires à l’Opéra de Lyon du 15 au 23 janvier

María de Buenos Aires ne se raconte pas. Unique opéra — plus exactement operita, selon ses propres dires— d’Astor Piazzolla, il ne déploie pas une intrigue que des chanteurs mettraient en actes et en chants. Il y a certes des récitants — el Duende, María — mais ils ne livrent pas de véritable récit et c’est à peine s’ils accèdent au statut de personnages.

María de Buenos Aires est plutôt une atmosphère, celle des bas-fonds de la capitale argentine tels qu’ils ont été célébrés et sublimés par des décennies de tangos et de milongas, et tels que le livret d’Horacio Ferrer les restitue dans une poésie parfois humoristique, souvent absurde, toujours subtilement évocatrice. María de Buenos Aires est plutôt une expérience, celle des petits matins fantomatiques achevant une nuit de rencontres hasardeuses, d’enlacements tangueros, de libations mélancoliques et de regrets diffus. María de Buenos Aires est un titre dans lequel Maria — cette femme qui meurt, vit et enfante — est peut-être moins importante que Buenos Aires : c’est bien la ville qui constitue le thème principal de l’œuvre, certes insaisissable mais omniprésente avec ses prostituées, ses chats et, last but not least, ses psychanalystes.

La musique de Piazzolla et le livret de Ferrer étaient parvenus, à la fin des années 1960, à restituer cette profusion de sensations et de sentiments. L’exprimer aujourd’hui sur une scène d’opéra française relevait du défi tant peut être grande la tentation du folklore. Le metteur en scène australien Yaron Lifschitz y est globalement parvenu (si l’on excepte l’inutile et bruyant prologue, heureusement vite oublié) en misant sur le dépouillement d’un plateau tournant et un usage modéré de la vidéo. L’absence de véritable fil narratif est, surtout, palliée par les performances de la compagnie Circa qui, alliant danse et acrobatie, offrent un spectacle visuel aérien, aussi gracieux qu’athlétique.

La brumeuse ambiance porteña pouvait supporter sans dommage une direction d’orchestre moins claire que celle, respectueuse, de Valentina Peleggi. La prestation remarquable de l’ensemble Negracha — et spécialement celle de William Sabatier au bandonéon — aurait mérité d’être saluée sur scène pour sa belle restitution de l’univers sentimental du tango piazzollien. Quant à Luis Alejandro Orozco (el Duende) et Wallis Giunta (Maria), ils savent donner une incarnation des plus élégantes à leurs rôles spectraux.

María de Buenos Aires ne se raconte pas, mais se vit, che, entre un verre de malbec et un maté, entre une biture à La Boca et une balade au cimetière de Recoleta, entre un remord à l’Obelisco et un pas de danse au parque Lezama. Je recommande le voyage.

Carmen S.

© Agathe Poupeney