Najat m’inquiète.

 

texticules-de-pedro-3 1Je m’inquiète pour la santé de Najat Vallaud-Belkacem. Si, si, vraiment. Et cela depuis qu’elle est devenue ministre des Droits des femmes à l’occasion du changement de gouvernement (je n’ai pas écrit : du changement de politique) de l’an dernier. L’air de la capitale paraît avoir sur son équilibre psychologique des effets des plus délétères. À moins que ce ne soit à force de voir Montebourg se déguiser en chevalier blanc. En tout cas, c’est sûr, Manuel Valls n’y est plus rien.

Voyons quels sont les symptômes. Ceux-ci, qui font craindre une schizophrénie galopante, ne sont apparus que tardivement. Tout paraissait encore normal au mois de juin 2012. Dans une interview au Journal du dimanche (1), elle annonçait vouloir que la prostitution disparaisse. Jusque-là, pas de souci. Faire disparaître ces maudites putes qui salissent les trottoirs de nos belles cités est, depuis une dizaine d’années, un des objectifs majeurs de nos responsables politiques, au niveau local comme national. On se rappelle que la réintroduction du délit de racolage passif dans le code pénal par l’époux de Cécilia, en 2003, visait principalement cela. Se présentant comme un moyen humanitaire de lutter contre la traite des êtres humains (comprendre : gonfler les statistiques des reconduites à la frontière en expulsant les sans-papières qui tapinent) (2), la mesure s’est, il faut le reconnaître, révélée des plus efficaces pour chasser les pécheresses des centres-villes. Les riverains peuvent dormir tranquilles, les cris des prostituées ne les réveilleront plus : c’est désormais dans les sous-bois et en bordure de route nationale qu’elles se font racketter et massacrer.

Najat Vallaud-Belcacem n’allait certainement pas — elle est de gauche, elle le dit et peut-être même qu’elle le croit — cautionner une mesure aussi vulgairement hypocrite que la pénalisation de la présence des péripatéticiennes dans l’espace urbain. Son hypocrisie, à elle, se veut plus subtile et, surtout, féministe. Réprimer des prostituées, quelle horreur ! Celles-ci sont de pauvres victimes de la domination masculine (ce qui, reconnaissons-le, n’est même pas faux).
Non, il faut s’attaquer à leurs clients car ce sont eux les méchants, avant même les proxos, comme on le fait en Suède où la prostitution de rue, dit-on, a diminué de moitié. S’attaquer aux clients : c’est grand, c’est beau, c’est généreux et, surtout, ça produit les mêmes effets que la pénalisation du racolage avec une couche de bonne conscience en plus. Car comment un flic va-t-il pouvoir identifier le client d’une prostituée, si ce n’est en constatant qu’il lui a adressé la parole dans l’espace public ? Or c’est déjà en cela — un échange au cours duquel sont négociés une prestation et un tarif — que réside l’infraction de racolage. La pénalisation du client n’en est que le double inversé, qui aura les mêmes effets : la rencontre se déplacera ailleurs, là où elle peut s’opérer loin du regard policier mais aussi dans des conditions plus dangereuses pour la prostituée.

L’idée est qu’en s’attaquant à la demande, on fera dépérir l’offre. Fort bien, mais quelles alternatives Najat Vallaud-Belcacem a-t-elle a proposer, en l’état du marché du travail (a fortiori pour les femmes, premières victimes du chômage) ?
On peut en outre s’interroger sur la pertinence de confier une politique (qui se dit) féministe à des policiers dont la conversion aux idéaux de l’égalité des sexes et de l’antisexisme est, disons, pas encore tout à fait établie. Et il ne sera sans doute pas facile de leur faire comprendre qu’ils doivent désormais protéger celles qu’ils avaient jusqu’à présent pour tâche de harceler au point, plusieurs cas en attestent, de se sentir autorisés à les violer.

texticules-de-pedro-3 2« Abolir la prostitution », tous les partis de gouvernement sont pour et l’ont manifesté par une résolution unanime au Parlement en décembre 2011 (3). Tous sont également pour en faire un enjeu de sécurité (et pas, ou si peu, de justice sociale ou de santé publique) appelant en priorité une action policière.
Mais voilà qu’en mars dernier Najat Vallaud-Belkacem, dans une interview au magazine féminin Causette, prend ses distances. La pénalisation des clients n’apparaît plus comme une panacée et la réflexion serait toujours en cours. Surtout, elle avance que « l’idée n’est pas de se focaliser sur les questions pénales, mais aussi sur l’ensemble des champs (….) prévention, droits sociaux, accès au logement, aux aides et au titre de séjour, formation, etc. » Mieux encore, elle affirme que « ce qui sera plus rapide, c’est l’abrogation du délit de racolage passif, qui faisait des victimes de la prostitution des coupables ».

Par une cruelle ironie, c’est précisément le moment qu’a choisi Gérard Collomb pour lancer une nouvelle offensive contre les prostituées en camionnette de Gerland. C’est que, voyez-vous, il y a des entreprises de pointe dans le quartier et des putes dans le voisinage, franchement, c’est pas bon pour l’image. Gégé est sur ce plan un multirécidiviste — que dis-je : un acharné.
Depuis août 2002 et son premier arrêté municipal d’interdiction du racolage (oui : Collomb avait devancé le Nabot !) dans la Presqu’île, c’est près d’une dizaine de mesures policières édictées au niveau municipal qui ont permis de repousser, des quais du Rhône à Perrache et de la Confluence à Debourg, les perverses créatures toujours plus loin — loin de la sécurité, de la justice, du travail social et de la santé publique (4).

Mais ce qui est surtout étonnant — et fait donc douter de sa santé — c’est que Najat Vallaud-Belkacem a été entre 2003 et 2012 une très proche collaboratrice de Gérard Collomb à la mairie et qu’elle n’a jamais, au grand jamais, émis la moindre critique, pas même le plus petit commentaire, sur la politique aussi répressive qu’imbécile qu’il a menée et continue de mener en matière de prostitution à Lyon.

Cesser de confier le dossier de la prostitution à la seule police ? En voilà une bonne idée ! Vallaud-Belkacem devrait en parler à Najat.

 

Pedro

1. http://www.lejdd.fr/Societe/Actualite/Vallaud-Belkacem-Je-souhaite-que-la-prostitution-disparaisse-interview-521763

2. Écoutons l’impayable futur mari de Carla déclarer sans rire au Sénat, le 24 novembre 2002 : « Il me paraît judicieux de reconduire dans le pays d’origine pour les sortir des griffes des proxénètes, des filles qui ne parlent pas notre langue et qui viennent d’arriver sur notre territoire. C’est un devoir humanitaire ! »

3. http://www.assemblee-nationale.fr/13/ta/ta0782.asp

4. C’est aussi pour se rendre plus discrètes et se protéger des PV pour racolage que les prostituées se sont équipées de camionnettes. Mais comme elles n’ont pas toutes le permis, certaines paient des « chauffeurs » pour les déplacer, ce qui fait d’eux des proxénètes puisque obtenant des gains de la prostitution d’autrui. Autrement dit, c’est la loi qui a créé le besoin d’une nouvelle catégorie de proxos. À ce point, ça devient du grand art.