Chroniques d’Afrique

Décembre 2014, je pars au Burkina Faso rejoindre une amoureuse. En pleine insurrection. Pendant mon séjour, j’apprends par la radio l’attentat contre Charlie Hebdo. S’ensuit un road-trip hivernal de cinq semaines, dont je ne suis jamais vraiment revenu.

Lyon 2019

Ce soir, les relents un peu nauséeux d’une certaine Afrique viennent me chatouiller les narines.
J’ai du mal à atterrir. Chaque matin, je me réveille d’une course effrénée dans la brousse, surpris d’être dans un lit aussi confortable. Le peu de patience qui m’habitait est resté sur la route de Bobo et mes voisins X-roussiens me cassent un peu les couilles avec leurs problèmes existentialistes à base de légumes bio. Passons.

Je n’ai rien retenu des paysages ni du climat du Burkina, à part cette putain de poussière qui fait moucher rouge. Mais les hommes, les femmes que j’ai croisés…
Nous buvons de la bière de mil, au fond de la cour d’un cabaret. Il fait chaud, vraiment chaud, et le dolo tiède n’étanche pas ma soif. Une femme est là, un peu à l’écart. Une femme que l’on dit folle. Folle d’avoir vu sa famille tuée à coups de machette. Habillée de brindilles et de bouts de pagnes, elle est assise sur un tas d’immondices. Une fugee rwandaise.
Elle me regarde. Et je la regarde aussi. Je ne baisse pas souvent les yeux mais ce regard, je ne peux pas le soutenir.
Je me souviens d’avoir eu envie de rentrer chez moi à cet instant, immédiatement. Je me suis demandé ce que je foutais là.
Ce soir, je pense à elle, se berçant doucement dans sa peine, aux poupées qu’elle tissait dans ses cheveux.
Je pense à toutes les belle âmes que j’ai rencontrées, qui m’ont accueilli, prêté leur lit, nourri, soigné, ouvert leur cœur.

Ouagadougou

Premier vol pour le Maroc, une escale de 4 heures à Casa, où l’on applaudit le pilote une fois l’avion posé. Nouveau vol pour le Burkina, destination Ouagadougou.
Accueil chaleureux des douaniers : caméra thermique, scan des empreintes digitales et photo de ma tronche.
Examen poussé de mon passeport, le jeune gabelou me demande sans rire d’ôter mon chapeau, je comprends : après 8 heures de zinc, les doigts incrustés dans les accoudoirs, à prier toutes les saintes à chaque turbulence, je ne ressemble plus à ma photo…
Hamidou m’attend à la sortie de l’aéroport. Nous voilà partis sur son scoot, malle cabine en équilibre précaire, et mon sourire de crétin en bandoulière.
Une odeur âcre et tenace de bois et autres saloperies brûlées m’assaille.
Arrivé sur le canapé d’Hamidou, je m’écroule, rêve d’avions et de films de légionnaires…
4 heures plus tard, réveillé par les chants du coq et du muezzin, j’ai le temps d’une toilette de chat et Hamidou me jette au bus pour Bobo-Dioulasso.
Et là, dans ce bus, sur cette route parsemée de dos d’ânes, dans l’air saturé par la poussière de latérite, au milieu d’autres voyageurs qui m’invitent à partager leurs agapes, je réalise enfin que j’y suis bordel, je suis au Burkina Faso, le pays des hommes intègres.

Bobo-Dioulasso

Déjà deux semaines. Le temps court, comme partout, mais ici il va, une paire de tongs pourries aux pieds, le nez dans les nuages de poussière que soulève une vago déglinguée.
Ce qui frappe à Bobo, à part ma main dans ta gueule si tu continues à m’interrompre, c’est la gentillesse des indigènes. Oui je sais, le terme choisi est ambigu mais je n’arrive pas à me départir de mon vocabulaire post-colonial et il ferait beau voir Simone, que j’arbore gratuitement ce si seyant short kaki en pure perte d’estime de moi, alors que je m’adore, pour me rabaisser à une comparaison plus qu’hasardeuse avec les locaux, sapés milords, qui boivent des bières comme de l’eau, sans que l’idée leur vienne jamais de se maillocher. Car non content d’afficher à tout moment une gentillesse non feinte qui ne saurait tarder à devenir proverbiale, le Bobolais dispose d’un sens de l’humour qui ferait pâlir plus d’un X-roussien fier de ses blagues éculées.

Ici, l’on taquine volontiers son voisin de table sur ses origines, son apparence, sa pingrerie, sans bien sur dépasser les bornes en évoquant par exemple l’éternel postulat établissant que ta mère vit de ses charmes… Et si par mégarde, de jeunes gens un peu échauffés par l’alcool et le soleil qui cogne aux heures de pointe en viennent à l’invective, il n’est pas rare qu’un ancien se lève pour tancer vertement les importuns et leur rappeler les règles les plus élémentaires de la bienséance et de la courtoisie. Ici, l’on salue chaque personne croisée, l’on s’inquiète de sa santé, de celle de ses proches, on lui souhaite bonne arrivée, bonne route, meilleure santé.
Oui, c’est incroyable je l’admets, perdre son temps de la sorte ! L’oisiveté est décidément mère de tous les vices…

Quelques larges voies goudronnées, animées d’une chorégraphie motorisée chaotique, des mobs comme celle de Pépé, des chinoiseries 100 cc montées par de plantureuses mamans en pagnes empesés, des carrioles tirées pas des ânes faméliques, des polios tirant sur le volant de leurs tricycles.
Bobo, c’est sans horizon, trop plat. Et même en montant sur les toits terrasses, la pollution occulte le paysage. Pour rentrer dans les détails, je suis parti de Lyon fourbu et suis arrivé à Bobo sur les genoux. Après de belles retrouvailles et quelques jours de bringue pour fêter mon arrivée, les traditionnelles crises d’asthme et l’allergie à la poussière, la soirée “danse contemporaine” à l’Institut français, c’était la blague de trop ! Finir cette soirée en guinchant au Tamani au milieu des Bobolais hilares, c’était du comique de répétition… Je laissai un poumon sur la piste et rentrais mal en point à la maison.
Au milieu de la nuit, une douleur au ventre puissance 10 sur l’échelle de secours me réveillait et c’est en larmes que je suppliai (je n’ai aucune dignité quand je souffre) Zabou de m’emmener à la clinique, chez le boucher, chez le marabout, enfin quiconque capable de soulager cette putain de douleur due certainement à un cancer foudroyant du foie, un coup de couteau de la susdite Zabou pour faire taire mes ronflements de phacochère, ou à un empoisonnement suite à l’absorption du whisky frelaté du Tamani (établissement que je me promis d’incendier dès ma résurrection )…
Arrivé finalement à la Clinique St Leopold, mis sous perf et piqué contre la douleur, j’oscillai entre soulagement, peur de quimper loin de ma belle X-rousse, retour du tourment et micro-sommeil… Après une nuit angoissante, quelques litres de morphine, une radio et une échographie dont il ressortit, à mon grand soulagement que je n’étais pas enceint de jumeaux, j’appris par le toubib que cette douleur qui m’avait plié en deux était causée par… des gaz ?!?
Et là, dans son bureau, le toubib mort de rire me dit :
– T’as lâché une caisse là ? Parce que ça pue !
– Ben non, j’m’en serais rendu compte je crois !
– C’est dommage, ça t’aurait soulagé ! T’es sûr que t’as pas lâché une caisse ? Bon, alors ça doit être moi…

Koudougou

Bobo, Dedougou, Tchériba, Koudougou.
Les margouillats à tête jaune, culturistes de l’impossible, font des pompes sur les murs pour séduire les femelles. Mots croisés et vent de poussière, margarine et nescafé, what else ?
Voyager, ce n’est pas la découverte des autres. Pour tout dire, les autres, à part quelques précieux amis qui ont la gentillesse de m’aimer un peu, je m’en cogne. L’on part pour se découvrir, briser les repères, trouver l’amour ou l’oublier, recoller les morceaux, vibrer encore comme l’adolescent que l’on n’a cessé d’être.
La vie n’est pas douce ici, elle crisse sous la dent. Le soleil te cuit tel un bout de mouton sur la tôle d’un grilleur. Alors on boit de la Brakina glacée en attendant la nuit, en espérant que la fête sera belle. Et la fête déçoit bien sûr, et c’est rassurant. La même musique, jouée trop fort. On essaye de s’amuser à côté de gamins qui s’arrosent à la bière, quelle que soit la latitude. Heureusement, au matin, tout est fini, on se salue, engoncé dans les obligations de vœux, en se collant successivement quatre coups de boules, drôles de mœurs…
Mais quand même, j’aime bien les Burkinabés. Pas au point d’en faire collection, mais d’en garder un souvenir sucré. Cette belle jeunesse surtout, capable de faire une révolution en quinze jours, de balayer le pouvoir en place et les rues une fois la rigolade terminée.
Alors bonne année à tous, et particulièrement à Williams, 16 ans, président des Gourounsis, qui sait qu’un rondeau comporte treize vers .

Back in town, soon

L’année débute et l’aventure se termine. Sur la route de Bobo, il y a des ânes crevés, la panse gonflée par le soleil, des gendarmes couchés et de vieilles aveugles qui n’ont rien à mendier. De longs trajets silencieux, gras de sandwiches avocat/viande hachée. Les camions chargés de la récolte du coton penchent dangereusement. Et moi aussi je penche.
Envie de me peler les burnes dans les pentes, pour le plaisir de la couette. Plonger dans un bain chaud. Retrouver la famille, les amis, partager des bulles, rentrer à la maison quoi.
Alors si tu es dispo le lundi 12 vers 15h30, je serai à l’aéroport de Satolas, terminal 2, avec ma grosse valise et mon chapeau. Tu auras droit à ma reconnaissance éternelle pendant au moins un an. Sinon, je prendrai un taxi et je lui raconterai « l’irruption de la morale sexuelle de Reich », un ouvrage passionnant qui le conduira certainement au suicide.
Merci à ceux qui m’ont accueilli, Zabou, Alice, Fidèle, Lawagon, Franck, Williams, André, Major, Guel, Var-Var, Chris, Sam et les autres.

Bye-bye Bobo, bonjour les bobos

Voilà, c’est fini. Ce long périple africain. Et le reste aussi c’est fini. Tel Ulysse rejoignant Pénélope, après m’être égaré et n’avoir rien récolté au champ des sirènes, je rentre au bled. Parti sur un air de révolution, revenu ou presque, sur un requiem. Passage rapide à la banque pour changer du liquide. Le banquier, à peine narquois, me souhaite “bonne année, la santé, mais pas trop d’argent, ça cause que des soucis”. Vraiment, la comparaison avec l’Odyssée n’est pas exagérée, j’ai rencontré un cyclope, enfin un borgne, qui pour draguer assure la belle qu’il n’ira pas voir ailleurs…
Pas moyen d’être tranquille 5 minutes dans ce patelin. Entre le gus qui se pointe à ta porte pour que tu payes ses études et la musique à fond à toute heure, pour n’importe quelle occasion, mariage, décès, perte des clefs, que sais-je encore. Et si tu te laisses attraper la pogne pour un salut, tu la récupères des plombes après, aux prix de salamalecs et négociations qui ressemblent à une demande de rançon. T’imagines la productivité de ce pays ? T’arrive au taf à 9 heures, à 11h30 tu as fini de saluer tout le monde et c’est déjà l’heure de l’apéro. Parce que ça picole sévère au Burkina, toutes ethnies et religions confondues. Repas riz-sauce ou riz-gras ou comble de l’originalité, riz-feuilles… Sieste, tu reprends le taf à 15h et à 17h tu quittes… Pas comme ça qu’ils vont gonfler le PIB !
Si les dieux sont cléments, et si personne ne détourne mon zinc sur Oslo, lundi je retrouverai les miens. Mes enfants, mes indispensables amies. Oui, je préfère définitivement la compagnie des femmes.
J’arrive.

Ouagadougou

Dernière soirée a Ouagadougou avec André et les Mossis, une des 65 ethnies qui cohabitent au Burkina, avec chacune son dialecte et pour unifier tout ça, cette belle langue française qui compte des mots comme exsuder, sycophante et roulement à bille. Un exemple à suivre.
Ils parlent en Moré. J’pige pas une broque mais ils ont la connerie et c’est communicatif. Ils en viennent vite au français et on peut commencer à débattre. Dernier poulet grillé/frites plus un hectolitre de Brakina et je suis prêt pour la nuit.
Le cycle migratoire du régisseur à poil gris s’achève par une panne de voiture à 5 heures du mat. La course pour dégoter une autre guimbarde et André se transforme en Jacky Ickx, pilotant en warning dans les rues de Ouaga. Des vieilles, pliée en deux (des contorsionnistes certainement) balayent la route. Le jour se lève dans trente minutes et mon vol ne m’attendra pas. Arrivée en trombe et en sueur à l’aéroport.
Grosses turbulences ce matin. L’Armatan, vent de sable porteur en autres joyeusetés du virus de la méningite, secoue l’avion. Je n’ai pas peur, je peux mourir maintenant, mes affaires sont en ordre, mon faramineux patrimoine réparti de façon magnanime entre mes enfants.
Mes nombreuses maîtresses n’auront rien. Elles pourront toujours se venger en crachant sur ma tombe. Je les imagine plutôt anéanties par le chagrin, se disputant à coups d’ongles vernis les derniers vestiges de mon passage sur cette terre.
Ce voyage se termine par une bonne tranche de rigolade ; arrêté par la Police de l’air et des frontières à St Exupéry, mon passeport ayant été déclaré volé… Discussion avec les pandores, on cause de flingues en attendant l’aval d’Interpol pour ma libération. Cool, on me laisse repartir… Jusqu’à la douane ou j’arrive, un peu hilare, tellement content d’être entier.
– Bonjour, vous avez quelque chose à déclarer ?
– Euh non, seulement quelques pagnes !
– Des quoi ?
– Des bouts de tissus
– Bon, on va vérifier vos bagages !
Le contraire m’eût étonné.