IT’S ALIVE !

Niché en bas de la Grande Côte, le Trokson a depuis neuf ans repris le flambeau des cafés – concerts rock & roll sur les pentes X Rousse. Entretien avec Karl (gérant et programmateur) et Pierre (programmateur et régisseur).
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La vie nocturne de ce quartier des pentes avait sérieusement pris du plomb dans l’aile avec l’avènement du concept de pollution sonore dans les années ‘90, et voilà que depuis 2005…

Karl : Je suis justement arrivé à Lyon dans ce quartier au milieu des années ’90, à l’époque flamboyante des Bistroy, Atmosphère, Monde à l’Envers, Loufiats, Farmer, Phoebus, Bock House etc. En terme d’ambiance, de concerts et compagnie, il régnait ici un truc vraiment singulier avant que tout se casse la figure avec la fermeture de plusieurs établissements ; un truc qui m’a donné plus tard l’envie de poursuivre l’aventure en ouvrant moi-même un Caf’conc, mais de suite en essayant de tirer les leçons de ce passé récent, et sûrement pas en me posant là avec mes gros sabots sur le mode « fuck off »… L’idée était de durer et forcément en faisant très attention aux problèmes de bruit et de voisinage. En essayant d’emblée de responsabiliser notre public, en faisant de la simple pédagogie concernant le bruit dehors. Et j’ai le sentiment qu’aujourd’hui, tout le monde (sauf exceptions) a bien compris la chose, et nous n’avons finalement pas trop de bordel alentours, alors que nous sommes pourtant très actifs au niveau de la programmation.


Quant au bruit à l’intérieur ?

Karl : L’insonorisation du lieu a simplement suivi la croissance exponentielle du nombre de concerts et l’équipement en matériel plus performant. Pour tout bonnement être aux normes en la matière, notamment avec un compresseur, le doublement des parois de la cave et un Sas à l’entrée du bar.


N’y avait-t-il pas un coté Dernier des Mohicans à ouvrir un Caf’conc’ teinté rock & roll sur les pentes ?

Karl : Je ne me suis même pas posé la question. Et même si j’ai bien la tète sur les épaules, c’est vraiment la passion qui a parlé. Ne serait-ce parce qu’à ce moment-là – où nous allions par exemple voir des concerts au « Clos Fleuri » (ndlr : bar genre PMU dans le 8e), Il y avait un vrai manque en la matière. Mais je n’ai pas fait « d’étude de marketing » pour savoir ce qui manquait à Lyon ; je voyais simplement ce qui me manquait à moi, et j’avais cette envie tenace de faire du concert ! En se focalisant au départ, sur le garage et le punk rock.

Deecracks - ©Noodle Photographie

Deecracks – ©Noodle Photographie

Quant au fantasme dans la vision que les gens peuvent avoir d’un club punk rock ?

Karl : Les gens s’imaginent en effet que l’on fait venir les Sex Pistols tous les soirs pour se taper des rails de coke sur le comptoir… alors que la réalité est bien sûr tout autre. Que le mec avec sa crête sur la tète qui a joué hier soir, est juste un gentil informaticien, qu’il est venu avec sa guitare et son ampli à bord de son break familial. D’où l’idée de d’inviter constamment les gens à venir voir ce qui se passe dans ce lieu obstinément ouvert.


Et si vous deviez faire un bilan après 9 années d’ouverture ?

K+P : Même si nous avons connu des périodes de vaches maigres, le bilan est positif et déjà en ce qui concerne la fréquentation qui a nettement augmenté ces dernières années et qui s’est surtout sensiblement élargie à une clientèle plus éclectique. La notoriété du lieu aidant, notamment en terme d’ambiance pour le moins détendue, de plus en plus de gens viennent tenter le coup de voir un concert… quasiment par hasard. Même si nous avons aussi bon nombre d’habitués, mais ils ne sont plus du tout majoritaires.


80 d’entre eux verront ainsi Sham 69 début décembre…

Pierre : Sachant que le concert sera également retransmis en direct sur écran géant dans le bar. Le fait est que beaucoup de groupes « mythiques » de ce genre, aiment bien jouer dans de petites salles surchauffées, revenir aux sources en quelque sorte. Et ça tombe bien puisque nous avions vraiment envie de les programmer.

 

The Jackets - ©Noodle Photographie

The Jackets – ©Noodle Photographie

Ce qui ne vous empêche pas de tenter des expériences hors les murs, comme avec le feu festival Big Tinnitus ?

Karl : L’envie de faire des concerts « plus gros » hors les murs est toujours là. Et on s’y essayera forcément à nouveau. Reste que l’expérience du festival quatre ans durant, si elle a été vraiment enrichissante à différents niveaux ; elle nous a également refroidi puisque nous avons sévèrement perdu des plumes lors de la dernière édition.


Du goudron et des plumes, un long chemin de croix sans subventions…

Karl : Effectivement. Je n’en ai jamais demandé, tout simplement pour rester indépendant. Aujourd’hui le festival est en Stand By, mais cela ne veut pas dire que demain…


Revenons au Trokson, à son fonctionnement et à son rythme de croisière en terme de programmation.

Pierre : Nous sommes une équipe soudée de quatre individus et chacun connaît bien son rôle. Et pour donner une idée de ce qui se passe ici au niveau des concerts : nous avons accueilli sur la saison 2013-14 pas moins de 170 groupes… En y ajoutant les soirées dejays, quizz, projections (etc.), nous avons ainsi organisé 230 « événements » sur une année. Quant aux styles musicaux à proprement parler, si l’identité du Trokson est vraiment teintée punk rock au départ ; nous nous sommes progressivement ouvert au rock en général (pop, métal, hard core, folk, cajun, surf etc.), pour ne pas s’enfermer dans un genre.
Karl : Ensuite, il est également question de prendre des risques ! De ne pas tomber dans la routine et de kiffer des groupes sans focaliser sur leur nombre de vues sur You Tube
Pierre : Y’a pas de place pour les « rock stars » au Trokson. Les seuls critères de sélection sont l’énergie et l’authenticité. Et certainement pas la couverture médiatique.

The Legendary Tigerman - ©Noodle Photographie

The Legendary Tigerman – ©Noodle Photographie

En sus de la sélection d’un point de vue musical, vous intéressez-vous à ce que les groupes ont à dire ?

Karl : J’essaye de ne pas faire de « politique » mais en programmant du punk rock, je sais très bien que les groupes peuvent être radicaux et cela ne me gène pas. Ensuite, il est juste hors de question de faire passer des fafs au Trokson.


Entendu que les « clubs rock » ne sont pas légion dans la région, on imagine qu’au-delà des 170 groupes que vous recevez chaque année, les demandes doivent affluer ?

Pierre : En moyenne, c’est une dizaine par jour… Nous sommes aujourd’hui vraiment imbriqués dans le circuit, notamment des tourneurs, et nous essayons simplement de recevoir les groupes au mieux. Et déjà en leur assurant un cachet minimum. Ça finit forcément par se savoir.


Sachant que les concerts sont gratuits…

Karl : Depuis quasiment trois ans. Pour se faire, on majore simplement les consommations (non obligatoires) de 30 à 50 centimes les soirs de concert. Je sais que certains voient cette gratuité d’un mauvais œil mais j’assume, et je me dis aussi que cela permet aux jeunes qui n’ont pas une thune, de venir découvrir des groupes.

The Legendary Tigerman - ©Noodle Photographie

The Legendary Tigerman – ©Noodle Photographie

Meilleurs souvenirs ?

Karl : J’ai pris une énorme claque en faisant jouer les Magnetix ! Mais aussi Legendary Tiger Man. Shaking Godspeed, Didier Wampas et tant d’autres.
Pierre : Plein. Dont les australiens de Burn in Hell que nous refaisons jouer le 29 novembre.


Les groupes ou personnages à faire passer en rêve ?

Pierre : Iggy Pop en show case…
Karl : Jello Biaffra ! Mais sûrement ailleurs qu’au Trokson, sinon il nous faudra vraiment pousser les murs… Jello dont j’écoutais, adolescent, les disques religieusement.


Le Trokson, c’est un sacerdoce ?

Karl : C’est plutôt une passion dévorante. Mais on en vit, alors c’est juste magnifique. Point à la ligne et interdiction de se la « péter ».

The Hi Lites - ©Noodle Photographie

The Hi Lites – ©Noodle Photographie

L’avenir ?

Karl : Toujours bosser notre « capital sympathie » en accueillant convenablement le public et les groupes. C’est primordial.


Quoi que ce soit à ajouter ?

K+P : Montez des groupes et venez vous tester au Trokson !


Quand bien même entend-on depuis des lustres des sons de cloche répétant à l’envi que le rock est mort ?

Karl : La scène est au contraire très actuelle et se renouvelle sans cesse !
Pierre : Et cet état d’esprit qui accompagne le rock et/ou le punk, est aujourd’hui encore plus qu’hier un bon moyen d’émancipation pour la jeunesse. Façon Do It Yourself et plus si affinités.
Karl : De toutes les façons, je ne me soucie pas de savoir si le rock est à la mode ou pas ; et je n’ai toujours pas acheté mon tee-shirt des Ramones à H&M… Enfin, si le Trokson cultive un coté « petit village gaulois », ce n’est pas forcément fait pour me déplaire.

 

 

Laurent Zine

©Noodle Photographie