le-quatrieme-mur 1Six mois après mon retour de Beirut, j’ai fait une merveilleuse rencontre, cadeau de quelqu’un qui m’est cher. Un livre ! Le titre « le quatrième mur ». Moment d’une telle intense émotion qu’il n’est pas facile de retranscrire quelques impressions. Vous aurez la chance de rencontrer Sorj Chalandon, l’auteur à la librairie Au Bonheur des Ogres …. Ce mardi 6 mai n’hésitez pas, déplacer vous.

Mais reprenons le fil de l’histoire. Metteur en scène de théâtre, Sam rêve de monter l’Antigone d’Anouilh au Liban, avec des comédiens de toutes obédiences. Frappé par la maladie, il charge Georges de ce difficile pari. Leur rencontre une vieille histoire, en 1974 , à Paris, Georges, étudiant en histoire militant activiste pro-palestinien casseur de facho et féru de théâtre, fait la connaissance d’un grec juif, rescapé de la Shoah, qui a échappé au régime des colonels, Sam. Georges part, début 1982, « Cette fois, il ne s’agissait pas de réciter trois répliques de théâtre dans une Maison des jeunes, mais de s’élever contre une guerre générale. Aller dans un pays de mort avec un nez de clown ! »

« Voler deux heures à la guerre«  ! Il tente de convaincre Druzes, Palestiniens, phalangistes et miliciens de tous bords de jouer cette pièce : elle serait un répit dans la guerre, et chacun, le temps d’une représentation, devrait oublier son camp. Antigone (Ismane) est palestinienne et sunnite. Hémon (Charbel), son fiancé un Druze du Chouf. Créon, roi de Thèbes et père d’Hémon un maronite de Gemmayzé. Le page, le messager et la reine Eurydice, des chiites. La nourrice était une Chaldéenne et Ismène, la soeur d’Antigone, une catholique arménienne. Un casting impossible dans un Liban meurtri par des années de guerre civile.

Sorj Chalandon envoie Georges dans un Liban à feu et à sang. La traversée de la capitale se fait sous le contrôle des snippers,  » c’est le Liban qui tire sur le Liban« . L’intervention israélienne de l’été 82 à Beyrouth interrompt les travaux de Georges et de ses acteurs en même temps qu’elle chasse les combattants palestiniens de l’OLP de Yasser Arafat. Georges assiste au massacre du camp palestinien de Chatila en septembre de la même année.Comme Sorj d’ailleurs « parce que Sabra et Chatila, ça ne s’est jamais passé. J’ai couvert la guerre du Liban de 1981 à 1987. Le 18 septembre 1982 au matin, je suis entré dans les camps,j’ai gardé pour moi ce qu’abandonne un homme qui marche dans du sang humain. Et de ce que j’ai vu, je ne me suis jamais remis« .

Le quatrième mur Sorj Chalandon nous l’explique ainsi :  » Outre que le quatrième mur est un terme de théâtre assez connu qui fait référence au « mur  » qui sépare l’univers de la représentation de celui du réel – et qui brise un acteur quand, pendant une représentation, il s’adresse directement au public –, il s’agit ici d’un jeu de mots. Ce quatrième mur, c’est celui de l’enfermement de Georges, c’est le mur qui clôt sa prison et qui fait qu’il ne repartira pas. C’est le mur qui sépare les vivants et les morts. Ce mur-là, c’est Georges qui le construit ; il s’emmure vivant dans sa folie et dans la guerre. Le choix de ce titre était aussi une façon d’annoncer l’impossibilité de ce projet de pièce de théâtre en pleine guerre du Liban, avec des acteurs de tous les camps. En écrivant, j’avais envie que ça marche, que la représentation ait lieu, mais je me suis aperçu que ce n’était pas possible. Le romancier a dû lui aussi faire son deuil de ce projet fou. » (http://www.lorientlitteraire.com/article

Georges ne s’en remettra pas et s’enfoncera dans l’abîme…. À la lecture de ce magnifique roman on ne sort pas indemne. Il nous permet de mieux sentir les drames, au combien actuels, qui se jouent au Moyen Orient …

le-quatrieme-mur 2Beyrouth a été une ville morte, mais aujourd’hui ses habitants sont encore très vivants et regardent leur ville se transformer sous leurs yeux impuissants. La mémoire de ceux qui ont disparu et le spectre des bâtiments et des maisons brûlées ne disparaissent pas dans la poussière de la reconstruction et le bruit des bulldozers (Beirut Sepia ). La vie n’est plus la même, multitude de lieux, ou s’entrecroisent chi’ites arméniens sunnites, druzes, chrétiens. Le soir dans certains quartiers au milieu des bruits de klaxon et des cris de la rue, la vie est bien présente, comme à Radio Beirut (salle de concert mais aussi maison de production de tout ce qui bouge sur Beirut, rap, pop musique locale ….) Un semblant de réconciliation a eu lieu, mais les habitants ont-ils leur mot à dire.

Peut être, faut-il inventer des mots nouveaux pour en finir avec les douleurs anciennes. C’est ce que nous proposait Wajdi Mouawad dans son dernier livre Anima furieuse odyssée qui prend sa source aux massacres de Sabra et Chatila et se conclue à Lebanon* (http://www.actes-sud.fr et www.lorientlitteraire.com/article ).
« Il existe, tout au fond des mers, des poissons monstrueux doués de parole. Une parole oubliée depuis longtemps qu’ils expriment dans une langue ancienne, celle de la douleur et celle du chagrin. Qui des humains oserait plonger pour les rejoindre et apprendre auprès d’eux à reparler et à déchiffrer ce langage ? Celui-là, s’il remontait à la surface, aurait à l’intérieur de sa bouche bleuie par le froid les fragments d’une langue disparue dont nous cherchons inlassablement et depuis toujours l’alphabet. Nous réapprendrions à parler, nous inventerions des mots nouveaux  »

 

Franck Bonnéric

Sorj Chalandon
Mardi 6 mai à 18h30 à la librairie Au bonheur des Ogres : il reste quelques places, réserver. http://www.aubonheurdesogres.com/librairie/Accueil.html
Dimanche 25 mai, Subsistances (assises internationales du roman) 18h30 : La trahison. Qu’elle soit amoureuse, politique, amicale, professionnelle, la trahison fait apparaître un continent secret : celui du mensonge, ou de la dissimulation. Sorj Chalandon (France/Grasset) / Sofi Oksanen (Finlande/Stock)

*Lebanon se situe à la jonction de l’Illinois qui était unioniste et du Missouri qui était esclavagiste, et elle a été le théâtre d’une guerre civile qui y a fait des ravages : la guerre de Sécession