INTERVIEW ZÉBRÉE AVEC DJ PEE

 

Avec Next Level , leur 7e album paru fin septembre (BonePlak/ Verycords), Le Peuple de l’Herbe confirme son penchant pour l’expérimentation sonique tous azimuts, tout en conservant cette faculté à accoucher de tubes gravement groove à même de faire tourner les têtes et remuer les hanches.

next-level-350-x-397-d0ab2Quinze ans après, sept albums plus loin : quel regard portes-tu sur votre parcours depuis la parution des premiers maxis en ‘99 ?

Je crois que c’est un mélange d’étonnement, parce que forcément on ne s’y attendait pas, de grande fierté parce que j’ai le sentiment que nous n’avons jamais changé de cap, et puis d’humilité parce qu’il ne s’agit pas de se la raconter et qu’il y a tant de choses encore à faire.
Ensuite, il y a ce nom « Le Peuple de l’Herbe » qui, sur la durée, nous a un peu desservis, dans le sens où beaucoup de gens nous assimilaient et/ou nous assimilent encore à un genre d’amuseurs publics qui oscillent entre le ska festif et la chanson française… Alors que non, pas du tout !! C’est juste le petit revers de la médaille. Je ne vais pas revenir sur l’idée à l’origine du nom, alors que la weed est désormais en vente libre au Colorado ou ailleurs. Et que nombre d’experts en tous genres sont aujourd’hui raccords avec nous, pour dénoncer l’hypocrisie entourant la pénalisation de sa consommation. Parenthèse refermée, le fait est que nous avons toujours réussi à faire ce que nous voulions vraiment – tant musicalement que concernant la démarche – et j’ose espérer qu’avec cet album, nous avons encore franchi un palier, en proposant quelque chose d’encore plus personnel, sans avoir à renier nos racines.


Quinze ans après, mais finalement qu’est-ce que ça change ?
It won’t make no difference…
(comme nous le suggère ce 1er titre)

dj_pee_-_le_peuple_de_l_herbe1-2abfaCe 1er titre est en effet à prendre comme une affirmation : nous avons toujours la même énergie et la même envie. Bien sûr de défricher de nouvelles sources musicales, et de faire partager nos coups de foudre pour certains artistes, tels Marc Nammour (www.facebook.com/lacanailleofficiel) et Louis Michot (http://lostbayouramblers.com) qui, chacun dans leur style, bonifient cet album de tonalités différentes. Et ce fut un pur plaisir de travailler avec eux.


En parlant d’intonation, on ne peut que remarquer l’arrivée d’une 6 cordes dans le Peuple de l’Herbe : une guitare souvent « souple et funky », mais parfois noisy… 6 cordes et voilà qu’un monde nouveau s’ouvre à vous ?

C’est certain que l’instrument amène une ouverture et de grandes possibilités. Quand bien même nous continuons à fonctionner comme un groupe qui sample et qui compose à la base avec des machines. Alors oui, effectivement, la guitare en direct ouvre ensuite de nouveaux horizons, mais surtout grâce au bonhomme qui va avec !


Un mot sur ce « jeune premier » qu’est Varoujan ?

Auparavant guitariste de feu Condense. On se connaît depuis bien longtemps et il avait d’ailleurs participé au 2e album du Peuple… Comme Psychostick, notre batteur, avait lui-même participé à l’une des B.O que Varoujan composait à l’époque (Baise Moi etc.). Humainement, il faisait donc déjà partie de « la famille » et musicalement, il nous a vraiment apporté beaucoup. Tout ça, dans une atmosphère de franche rigolade et j’imagine que ça s’entend dès la première écoute du disque. Un genre d’énergie positive que nous avions envie de partager, tout en prenant le contre-pied de l’air du temps.


Pour avoir assisté à une répétition montée, j’ai été un peu surpris par cette faculté, certes pas inédite, de jammer jusqu’à plus soif, de revisiter vos titres…

Nous parlions de nouvelles sonorités et de nouvelles possibilités dans la façon de travailler. L’idée est bien de pousser le truc jusqu’au bout ! D’inventer constamment des variations, de « bricoler » des surprises à l’intérieur des titres…

peuple_de_l_herbe1-f6ce6C’est une sorte de jeu ?

Oui exactement. Même si c’est également beaucoup de travail ! Mais faire de la musique, c’est prendre énormément de plaisir, ne serait-ce que pour éventuellement ensuite en procurer. Et puis, on n’a surtout pas envie de devenir des « singes savants » qui se répètent à l’infini.


New Team, New Live Set, Next Level : on imagine qu’il est également question d’un nouveau départ ?

Pas forcément. C’est une sorte de continuité. Sachant que l’on a pour habitude de regarder toujours devant et non en arrière. Sans forfanterie aucune. L’idée est d’essayer d’avancer. De dépasser les limites. Et par exemple d’aller probablement tourner demain aux États-Unis, alors que nous ne l’avions jamais fait. Encore une fois, sans qu’il soit question de se la raconter. Alors oui Next Level , car il s’agit de continuer à expérimenter. Et pourquoi pas dans un avenir proche de faire un morceau en japonais pour nous ouvrir les portes de l’Empire du soleil levant (!) ; mais en l’espèce, c’est encore du domaine du rêve.


J’en reviens à cet album et à son éclectisme quelque part étonnant : de Mogador jusqu’aux rives du Mississipi…

peuple_de_l_herbe2-424ddNous sommes clairement partis dans moult directions et je crois qu’au final, nous avions même quasiment matière à faire deux albums d’un coup… sauf que nous avons essayé d’aller à l’essentiel, en gardant quelques surprises qui paraîtront prochainement. Quant à Mogador précisément, c’est sûrement un bon exemple de notre désir d’hybrider les musiques, de confronter les influences, de croiser en l’occurrence des gammes orientales au oud avec une guitare surf.


En prenant un raccourci vers les poncifs, ce Next Level est-il une forme d’aboutissement ?

Ou bien l’album de la maturité, comme on nous le demande à chaque fois… Disons que nous avons peut-être trouvé un point d’équilibre entre l’envie de « faire simple » qui a pu nous caractériser, et celle d’aller plus loin, notamment en matière d’arrangements. En faisant attention à ne pas déshumaniser le tout. À préserver la chaleur inhérente à certains titres.


En parlant de chaleur, avec des titres comme What a Shame ou C’est comme ça ; il m’a semblé que le Peuple réaffirme son penchant (son amour ?) pour le funk ?!

Absolument, nous avions une grosse envie de funk ! Le funk voire la soul des seventies. Mais avec des clins d’œil au blues et à d’autres musiques, historiquement enlacées. Des références à Johnny Guitar Watson, aux (The) Meters et à beaucoup d’autres. Et c’était certainement plus facile d’aller au bout de cette envie avec la guitare de Varoujan. Qui va évidemment amener un gros plus en version live.


Live toujours avec les trois chanteurs qui interviennent sur cet album : les verra-t-on sur scène avec vous ?

JC 001 bien sûr, puisque c’est notre chanteur « résident », Marc Nammour forcément parce que nous allons faire nombre de dates en début de tournée avec La Canaille, dont je vous recommande chaudement le nouvel album baptisé La Nausée  !
(http://youtu.be/qkt_8S7uomU)
Quant à Louis Michot, c’est vraiment une rencontre magnifique même si on ne s’imaginait au départ aucune accointance avec la musique cajun… Sauf qu’à y regarder (et écouter) de plus près, l’histoire du mix des musiques a beaucoup à voir avec ce qui s’est passé depuis deux siècles en Louisiane, à la Nouvelle-Orléans et à Lafayette. Le fantasme c’est évidemment de jouer là-bas avec lui, mais aussi en France, terre de ses lointaines racines.

 

peuple_de_l_herbe3-e7d9aTrois chanteurs qui, sûrement sans s’être concertés, nous délivrent trois textes magnifiques, en forme de déclarations d’amour…

J’ai envie de dire « point d’exclamation » (!) et j’avoue que ça me colle le sourire aux lèvres. Louis est effectivement venu avec cette chanson qui est une ode tant à la rivière Mississipi qu’à la femme en général. «  Croche  », courbe, galbée, telle la lune…
Marc, quant à lui, nous a gratifié de ce texte très intime concernant sa compagne, et c’est sûrement Le Texte que l’on aurait tous rêvé d’écrire. Déjà parce que la façon qu’il a de jongler avec les mots est tout bonnement lumineuse ; ensuite parce que ses dires ont une résonance particulière en ce moment, alors que des conservateurs et/ou des religieux de tous bords veulent imposer, particulièrement aux femmes, leur idée du bonheur (?) familial ou conjugal… Basta !
Enfin JC, qui nous délivre une histoire bien à lui d’adultère… Parce que l’amour, ça se passe aussi dans la marge et ce n’est pas forcément autorisé. I’m in love with a girl that I can’t name…
Trois histories vraies et autant de versions de l’amour. Et de la différence. Face à l’aigreur ambiante.


C’est une façon quelque peu subliminale (et vous êtes champions en la matière) de dédier ce disque à la gent féminine ?

Alors là, oui, sans problème ! Et de respecter les choix de chacun en matière d’amour et de sexualité.


En parlant de subliminal, on imagine que vous avez encore caché plein de choses dans cet album ?

(…) je ne dirais rien, si ce n’est que c’est encore un « jeu de pistes ».


Quant à la pochette ?

L’œuvre de Ko Chan et c’est peu de dire que j’adore vraiment son travail. Il y a un coté léger, zen et à la fois très fouillé dans son crayonné qui nous a carrément séduit. Et j’ose espérer que son talent sera bientôt reconnu à sa juste valeur. Ko Chan qui a plusieurs cordes à son arc, sachant qu’elle joue également dans Azian Z, et voilà que cela nous ramène à nos rêveries concernant le Japon…

(www.facebook.com/pages/Azian-Z)


J’en viens à une petite explication de textes sachant que tu es bilingue : éclaire nous un peu sur le contenu de Soya Green et de Class War, deux titres dans lesquels JC001 semble, pour des raisons différentes, manifestement très remonté !

nimby-7273aClass War est effectivement un texte très rentre-dedans, et c’est aussi pourquoi nous y avons ajouté des sonorités plutôt dance floor, pour prendre un peu le contre-pied de son coté « réquisitoire ». Un texte qui dénonce ainsi la gentrification. Celle que nous connaissons ici à la X Rousse et celle que lui vit à Londres, dans son quartier de Notting Hill. Un quartier à l’origine très cosmopolite et délimité par la West Way (autoroute sur pilotis) ; celui des Clash, d’une certaine contre-culture et du célèbre carnaval. Un endroit comme il en existe à Berlin, Barcelone et ailleurs, qui attire progressivement des gens plus riches (voir les « bourgeois bohèmes »), pas forcément adeptes du « bruit » et donc des concerts dans les bars (selon la logique « Not In My BackYard »), et dont l’installation dans le quartier entraîne la hausse massive des loyers (cf. la lutte des classes…). Sauf qu’une ville, ça doit être vivant et sonore, et que si t’aimes pas le « bruit », tu vas vivre à la campagne !
Quant à Soya Green , c’est une réflexion très personnelle sur la pollution, les déchets, le gaspillage… Le monde que l’on va finalement léguer aux prochaines générations. Ce texte, c’est un peu le message in a bottle de JC 001. Ou bien la version Peuple de l’Herbe 2014 du Beds are burning de Midnight Oil.


Sans être un groupe catalogué comme « engagé », on sent que vous n’êtes pas insensible à la situation politique et sociale ?

Le truc, c’est essayer de parler sans être chiant. Et surtout pas démagogue. Tirer simplement de temps à autre la sonnette d’alarme. Sans être didactique. Après, il y a forcément des choses avec lesquelles on ne doit pas transiger, et spécialement concernant l’extrême droite.

peuple_de_l_herbe4-76a83Pour dépeindre le groupe, on a souvent évoqué le mix des genres, le « crossover sonore » : est-ce que cela te semble toujours pertinent ?

Bien sûr, et tant humainement que musicalement parlant…
Je dirais même que le métissage est une vocation naturelle pour le Peuple de l’Herbe, en dehors de tout effet de mode. De toute obligation.


« Back to the Barricades » (in Class War) : est-ce là une bonne façon de résumer votre retour prochain sur scène ?

Tout à fait. L’envie est bien là et finalement, la phrase de JC parle d’elle-même.


Et il semblerait que vous ayez d’autres projets vinyliques en gestation ?

Oui avec la parution en ce mois de décembre d’un EP en collaboration avec le groupe sud-africain Cape Town Effects. Une vraie belle rencontre, initiée au départ par notre sonorisateur (Chris) qui a longuement tourné avec eux. Et disons que le résultat est à la hauteur de nos espérances. Style pur funk mâtiné de soul (genre Motown) avec des gars qui rappent en version anglo-afrikaner… Qui plus est, avec des histoires incroyables à raconter : en direct de la fin de l’Apartheid.
Hyper content du résultat ; juste jouissif à mon humble avis.

 

Laurent Zine


Le Peuple de l’Herbe en concert le 3 décembre à la Coopérative de Mai et le 4 décembre au Transbordeur !


(article modifié le 2 décembre)