Sur un pas de Navaja

Bizet vs. Petit, ou comment dompter la femme volage

L’Arlésienne et Carmen, spectacle présenté à l’Opéra de Lyon du 18 au 24 novembre 2017.

Voilà donc de la danse classique sur pointes, populaire et accessible ; de la danse classique telle qu’on s’y attend : virtuose, avec des beaux pas de deux, des ensembles bien ensemble, un art maîtrisé par un corps de ballet (le Ballet de l’Opéra de Lyon) qui connaît son métier et le pratique bien, et des danseurs remarquables dans les rôles titres (la Carmen de Noëllie Conjeaud est toute force et sensualité). Sans compter que la musique aide aussi à emporter l’enthousiasme : difficile de faire plus mélodieux et populaire que la musique de Georges Bizet.

Ce qui rend significatif le fait de remonter les œuvres du chorégraphe Roland Petit, incontestablement classique malgré ses pas en dedans, c’est pourtant autre chose : une énergie toute particulière qui produit une danse vitaminée, sensuelle, passionnée. L’Arlésienne et Carmen sont deux drames amoureux. Des passions amoureuses dans lesquelles les femmes sont volages, les hommes terriblement jaloux et où le drame est inévitable.

Frederi, amoureux de l’Arlésienne qui par dépit épouse Vivette, se suicide, dans une geste finale à couper le souffle. En bref, il saute par la fenêtre. Mais traduit en pas de danse, cela donne : une course effrénée qui s’achève dans un somptueux saut de l’ange, le tout à travers une immense fenêtre en fond de scène, puis extinction des lumières, la tension est à son comble, que se passe-t-il, il est mort. Quand à Don José, son drame est bien plus connu et sa Carmen trop populaire pour qu’il puisse la posséder longtemps. Dans la version de Roland Petit, il finit par assassiner sa dulcinée d’un grand coup de couteau. Ici aussi, le rideau se referme sur un mort, Carmen cette fois. Lorsque l’amour est un oiseau rebelle, la danse est un art tout en puissance dramatique.

Si elles se font écho, les deux chorégraphies n’ont pourtant pas été écrites à la même période. 25 ans séparent les œuvres de Roland Petit. Carmen est un de ses grands succès, une pièce intime, théâtrale et drôle à la fois, dansée dans un premier temps par lui (Don José) et sa compagne Zizi Jeanmaire (Carmen). La pièce reçoit un accueil triomphal, elle sera jouée à Londres, puis à New York où elle va rencontrer l’intérêt des jeunes chorégraphes américains, laissant dire au chorégraphe Alvin Ailey que Carmen a ouvert la voie à la danse moderne américaine. Une pièce qui a fait histoire. Quant à l’Arlésienne, derrière son côté panisse, huile d’olive et cérémonie provençale, elle produit une danse épurée, toujours virtuose et sensuelle, mais de plus en plus contemporaine. On comprend que Yorgos Loukos, directeur du Ballet de l’Opéra de Lyon et ancien assistant de Roland Petit dans les années 1980 aux Ballets de Marseille, ait voulu que son maître d’un temps entre au répertoire.

Marius Navaja

 

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