Décollage imminent

 

jean-luc-navette-245 1Illustrateur, tatoueur et chanteur populaire, Jean-Luc Navette navigue effectivement dans un univers parallèle bien à lui, où la noirceur n’a d’égale que le coup de crayon. Un ailleurs imaginaire ampli de références lointaines et mortifères, où le blues dans l’âme est néanmoins étincelant de lumière. Une vision extrafine du monde en noir et blanc, dont s’extirpent quelques histoires vraies d’hier et d’aujourd’hui. De sombres histoires qui finissent mal en général…
Nombre de ses œuvres sont ainsi exhibées cette semaine à l’Épicerie Moderne et ce, jusqu’au 30 mars. Sachant que le Vernissage de l’exposition aura lieu dimanche 9 février à 19h, avant les concerts de Shannon Wright et de Raymonde Howard.

J’avoue que ça faisait un bout de temps que je n’étais pas allé traîner mes guêtres dans ce quartier de St Jean où pullulent pêle-mêle touristes, pèlerins et supporters de l’identité nazionale. Mais qu’importe finalement puisque j’avais rendez-vous ce soir-là à Viva Dolor , le repaire des ténèbres et du sieur Navette ; là où il tatoue les braves – ceux qui aiment souffrir vraiment – et collectionne une multitude d’objets incroyables mais vrais et autres outils de torture. Entre la statue de la vierge pleurant du sang, les figurines de super-héros, les peintures du 19e et les bocaux de formol garnis de serpents, j’étais donc bien arrivé à destination. Spliff en main après une dure journée de labeur, le loustic au bouc fourni et sourire franc du collier, était ainsi paré pour un décollage immédiat, via les méandres d’une interview. Satellisé Jean-Luc Navette ? Pas forcément…

Que vas-tu présenter à l’Épicerie Moderne ?
Franchement, je ne sais pas encore. Sûrement des posters (sérigraphies et digigraphies) dans la 1ère salle et des originaux dans celle du bar. Mais surtout essayer de balancer des choses en rapport avec la musique. Si ce n’est que j’ai deux autres expos qui arrivent dans la foulée, alors va falloir que je fasse savamment le tri dans mes productions nocturnes.


Deux expositions qui se tiendront où ?
L’une pendant Quais du Polar et l’autre à la Tannerie de Bourg-en-Bresse.


Si je te dis Navette = illustrateur, tatoueur, chanteur, professeur, boxeur et surtout raconteur ?
Professeur non ! Je m’y suis essayé une seule journée dans mon ancienne école d’art ( Émile Cohl ) et même si j’ai adoré ça, pas question de faire le malin. Pareil pour boxeur, je m’entraîne une fois tous les 15 jours, ce n’est pas sérieux. En revanche quand tu dis « raconteur », ça me fait plaisir ! Et finalement peu importe le support : que tu fasses une chanson ou un dessin, l’idée est bien de conter une histoire en définissant au préalable un espace temps. C’est comme une recette immuable, qui nous vient sûrement du blues.

 

jean-luc-navette-245 2C’est ainsi que l’on a l’impression qu’il y a des refrains qui reviennent furtivement dans tes dessins…
Oui mais là je dois avouer que c’est surtout une façon de payer mon lourd tribut à tous ceux que je pille. Parce que ces histoires que je raconte, elles viennent bien de quelque part et notamment des bluesmen et de leurs satanées Murder Ballads . Le fait est que lorsque je dessine, j’écoute bien sûr de la musique et il se produit forcément une interaction entre l’image naissante et le son. Une émulsion qui va pour ainsi dire nourrir le crayonné. J’ai pris de surcroît l’habitude de cacher des références dans mes illustrations : à des photos anciennes, à des personnages de la culture populaire. Et puis surtout à des musiciens et à des chansons. C’est pour moi une façon de créer un contact avec les gens à travers le dessin ; à la manière dont nous communiquions à l’époque du Lycée, en inscrivant sur les tables le nom des groupes que nous aimions. C’est comme une envie de partager son coin à champignons ! Celui ou celle qui reconnaît la référence doit se dire dans sa tète : mince… Il a dû écouter le même putain de disque que moi ! Je n’ai ainsi pas forcément beaucoup de références dans l’illustration ; dans la musique en revanche…


Tu utilises quoi pour dessiner ?
Des feutres, de l’encre de chine et du blanc correcteur. Beaucoup de papier et de colle aussi, puisqu’une fois que le crayonné est fait et que j’attaque à l’encre, il n’y a plus moyen de revenir en arrière. Sauf en superposant des collages.


Tu bossais la couleur auparavant ?
Oui mais ils étaient nombreux à le faire mieux que moi ! Et puis j’ai commencé petit à petit à mettre « trop » de noir dans mes images…
À mettre également trop de détails – idem en tatouage – de sorte qu’il n’y avait plus de place pour la couleur. J’ai ainsi arrêté de travailler la couleur il y a 10 ans.

 

jean-luc-navette-245 3Si ce n’est que « le noir est couleur » et que la noirceur du propos te sied semble-t-il à ravir ?!
Je me suis en effet rendu compte qu’avec le noir et blanc, je pouvais coller à des atmosphères plus rétro, imprimer un coté plus mélancolique aux images. Sachant que mes références en la matière datent le plus souvent d’avant guerre. Et puis c’est vrai que j’aime les histoires qui se finissent tristement, qui causent un peu avec la mort. Des histoires de gens qui ne plus là pour les raconter. C’est sûrement un peu prétentieux de vouloir se mettre à leur place, et cliché de parler de la mort dans l’histoire de l’art mais, j’ai toujours été imprégné par ça. Et il me semble plus facile de tirer des larmes aux gens, en racontant une histoire dans laquelle le mec flingue sa nana à la fin ! Je dis ça mais ça fonctionne aussi quand c’est le gentil héro qui finit par manger la poussière (ndlr : Ask The Dust est également le titre d’une œuvre de JL Navette, en hommage à notre maître à tous : John Fante). Je n’ai pourtant aucune sorte d’attirance « gothico – adolescente » pour la mort…


On dirait même que t’es hilare comme garçon…
Oui c’est vrai, je suis plutôt crétin.


Un crétin qui aurait vécu la fin du 19e puis les années ’20, avec les champs de coton, la grande dépression et la prohibition, tout en écoutant des Murder Ballads ?
Tu plaisantes : je n’aurais pas tenu plus d’une minute à l’époque ! Mais il est vrai que ce temps révolu me fascine. Et encore une fois, c’est plus facile de parler du passé.


Les Swinging Sixties, elles aussi sont révolues…
Exact. Disons alors que je préfère quand ça sent vraiment la rouille, que ça pue la mort et la chienne de vie. L’histoire du mec qui est arrivé en haut de la colline, tout le monde est capable de la raconter. Je préfère relater celle du mec qui n’est pas arrivé en haut de cette putain de colline, parce qu’il s’est fait écraser la gueule par les autres et qu’il est resté sur le bord de la route… Une histoire finalement très banale, qui peut se répéter à toutes les époques et qui imprègne mes illustrations. La petite histoire des gens. Que l’on se raconte au coin du feu.


Des illustrations que l’on va également retrouver dans des recueils : de Crève (2006) jusqu’à Dernier été du Vieux Monde, paru l’an dernier.
Oui, mais Crève était plutôt un « bouquin sur commandes », en ce qui concerne la mort de gens célèbres… Alors que ce Dernier été est vraiment un recueil d’illustrations très personnelles que j’ai réalisées depuis plus de trois ans. Et qui a pu voir le jour grâce à Christophe de Noire Méduse Éditions.


Quelques mots sur cette maison Black & Noire ?!
C’est une petite structure lyonnaise tenue par quelqu’un de passionné, qui connaît bien mon travail. Un éditeur qui a carrément passé moult nuits blanches sur ce bouquin et c’est tout sauf anodin pour moi. Noire Méduse, c’est un peu l’antithèse de la Major Company, dans laquelle tu signes avec ton groupe, des rêves pleins la tronche, pour au final te faire mettre bien comme il faut.

jean-luc-navette-245 4Ceux qui t’ont influencé, voire « aiguillé » ?
Y’en a énormément. Des gens comme Mezzo, Barry et surtout Joe Coleman, qui faisait figure d’extra-terrestre quand il est apparu dans ce milieu… Des gars qui, quoi qu’il en soit, transpirent à travers leurs dessins de façon quasi viscérale. Quant au tatouage, j’y suis arrivé un peu par hasard et aussi parce qu’il faut bien manger. Sachant que je n’avais pas envie d’attaquer direct dans l’illustration, un domaine dans lequel il était hors de question que je fasse des compromis. Sans penser qu’un jour je pourrais faire de l’illustration en tatouage… Et dans ce cadre, c’est Yann Black qui m’a montré la voie à suivre.


Les comics ?
Bien sûr. J’ai pris une grosse claque quand sont arrivés Strange et Titans etc. Tout d’un coup, les comics devenaient super sombres… Daredevil par exemple, rien à voir avec cet « enfoiré » de Superman : sa meuf s’était faite dessoudée et lui sombrait (justement) dans la drogue et l’alcool. Quand tu lis ça à 10 ans, c’est plutôt formateur. Les super-héros pouvaient se casser la gueule lamentablement, et les méchants avaient souvent vécu des trucs exagérément dramatiques, expliquant le pourquoi du comment. Mais faut pas oublier que tout a commencé pour moi avec Pif Gadget  !


Et c’est comme ça que l’on finit chanteur dans un groupe de rock ?
Forcément. Et il y aura bientôt quelques soubresauts avec le Blues Butcher Club puisque nous jouerons prochainement à la Tannerie (le 3 avril) et au Clacson le 11 avril.


Le mot de la fin, peut-être concernant le culte de la moustache ?
C’est un vrai sacerdoce. Si je pouvais avoir des cheveux longs et une tète de « black-metal-eux », je n’hésiterais sûrement pas une seconde, mais le seigneur en a décidé autrement pour moi : les cheveux sont une malédiction. Alors je me rattrape avec le peu de poils qu’il me reste sur le visage. Si ce n’est que j’avais une moustache avant les Hipsters et que j’en aurais une après eux.


Dont acte.

Laurent Z

 

Exposition de Jean-Luc Navette à l’Épicerie Moderne jusqu’au 30 mars.
http://jean-lucnavette.blogspot.fr
www.noire-meduse.com