Jean-Baptiste Carhaix, habuimus Papam*
Le monde de l’art a perdu un grand artiste, ce mardi 7 mars, alors que la France était dans la rue. Jean-Baptiste Carhaix aimait les militants, était lui-même militant à travers ses photos. Sa renommée, trop tardive, il la doit à son travail qui relate le combat des Sœurs de La Perpétuelle Indulgence, à San Francisco, au tout début du mouvement. Aujourd’hui, ces photos qui étaient le témoignage d’un combat politique, d’une beauté incroyable, sont exposées dans le monde entier.
Cette reconnaissance tardive, à mon avis, s’explique aisément. Vilipender l’Église catholique tout en défendant des pédés déguisés en nones, stratégiquement, dans un pays comme la France, c’était un suicide artistique. Comme me l’a dit son amie Jordane, au téléphone, le soir où elle a appris son décès : s’il avait été américain, il aurait été plus célèbre que Nan Goldin. Jean-Baptiste a souffert de ce manque de reconnaissance qui a duré. Elle est arrivée au moment où son corps commençait à le lâcher : voici encore une sacrée injustice.
Je ne vais pas vous faire la bio du grand monsieur, vous la trouverez sur son site. Je ne peux que parler de lui et de son travail tels que je les connais.
Jean-Baptiste était secret sur sa vie privée. Je ne l’ai connu que très solitaire. Reste qu’il était éperdument tourné vers les autres, avec une exigence parfois exaspérante dans ses amitiés. Cette exigence, il l’avait envers lui-même. C’est pour cela que ses photographies sont si belles. Jean-Baptiste me disait être agacé par tous ces photographes qui font de la belle photo et n’ont rien à dire. Car lui, à travers ses photos, il ne dit pas, il hurle. Il hurle contre le Sida dès son apparition, contre l’ostracisation des faibles et des marginaux qu’on laisse crever, il hurle en chœur avec Les Sœurs de La Perpétuelle Indulgence. L’artiste a mené une croisade toute sa vie, pour défendre la communauté LGBTQI+ et pour combattre le dogme meurtrier de l’Église Catholique. L’artiste vivait à Lyon, ville qui a vu naître cet abject mouvement appelé « La Manif pour tous » qu’il haïssait. Derrière son aspect un peu acète, son sérieux universitaire, Monsieur Carhaix était un militant queer, sans aucun doute. Pour couronner cette queer attitude, alors qu’il était déjà très malade, en avril 2022, il est parti à San Francisco retrouver les siens, qui l’ont sacré Pape Condom Ier. Ce déficit de renommée n’était qu’une illusion : Jean-Baptiste Carhaix a toujours été reconnu par les siens.
Dès notre première rencontre, il y a plus de dix ans, découvrant son travail, j’ai su que j’avais à faire à un grand bonhomme. Ensuite, j’ai considéré qu’être accepté par lui comme ami était un privilège. Le talent de l’artiste n’avait d’égal que son caractère. Comme le dit Pierre-Jean, mon mari : on était toujours content d’aller le voir, mais on ne savait jamais si on n’allait pas se faire engueuler. Jean-Baptiste n’était pas du genre à faire la fête, il le disait. C’était un bourreau de travail. On ne badinait pas avec Monsieur Carhaix, sa mission avait trop d’importance. Je le remercie aujourd’hui de cette intransigeance. D’autant plus, qu’en considérant notre travail avec un regard bienveillant, il nous donnait, à Pierre-Jean et à moi, une immense fierté. Oui, aujourd’hui, comme nous sommes fiers qu’il nous ait demandé d’être ses cardinaux de pacotille, lui qui allait devenir un vrai Pape !
Romuald&Pj
*en latin : nous avions un Pape
Site internet de Jen-Baptiste Carhaix : ici
Site des archives LGBT de San Francisco : ici
Site de la Galerie Vrais Rêves : ici