Les castagnettes de Carmen # 29

Guillaume Tell à l’Opéra de Lyon du 5 au 17 octobre

Il est plutôt rare de voir la Suisse en guerre… C’est pourtant la situation que nous présente le Guillaume Tell de Gioachino Rossini : les cantons helvétiques unis sous la houlette du célèbre archer (Nicola Alaimo) contre l’oppression des Habsbourg, incarnée par le cruel Gelser (Jean Teitgen). Inévitablement, la romance vient s’y mêler : le Suisse Arnold (John Osborn) s’est épris de la belle Mathilde (Jane Archibald), qu’il a sauvé d’une avalanche alpine et qui n’est pas indifférente à son charme. Mais manque de chance, celle-ci appartient au camp des ennemis autrichiens qui ont assassiné son père, le sage Melchtal (Tomislav Lavoie).

L’intrigue suscite indéniablement l’intérêt, qui raconte le soulèvement d’un peuple asservi contre une occupation étrangère et suggère les dilemmes moraux de tout engagement résistant : le déchirement d’Arnold entre son amour pour Mathilde et la solidarité avec son peuple, ou l’immonde chantage exercé par Gelser sur Guillaume, l’obligeant à tirer à l’arbalète sur la pomme légendaire placée sur la tête de son fils. Mais elle contient aussi tout un bagage nettement moins sympathique : exaltation des valeurs familiales — l’opéra s’ouvre sur un triple mariage, Guillaume Tell est inséparable de son épouse Hedwige (Enkeledja Shkoza) et de son fils Jemmy (Jennifer Courcier), etc. —, ambiance pastorale à souhait et, surtout, patriotisme à tout crin, qui sonne désagréablement en ces temps de regain nationaliste…

Bref, on peut trouver le propos aussi difficile à digérer qu’un enchaînement raclette-vacherin, d’autant que l’œuvre est longue, très longue. Le metteur en scène Tobias Kratzer a décidé de conserver les ballets, ce qui donne lieu à des chorégraphies — de Demis Volpi — absolument charmantes (premier acte) ou pathétiques (troisième acte) sur de très belles parties de musique, mais a aussi pour effet de ralentir la progression de l’intrigue. Cette réserve mise à part, reconnaissons à Kratzer le mérite d’avoir su contourner ce que l’œuvre peut comporter de patriotisme rance par une série de belles métaphores et de références bienvenues. La troupe de Gesler est habillée comme les affreux d’Orange mécanique, avec combinaison blanche, chapeau melon et batte de base-ball, et se comporte avec la même violence arrogante, tandis que les Suisses soumis sont des musiciens, dont les instruments sont brisés par les Autrichiens (poignante scène d’ouverture qui voit la destruction d’un violoncelle) avant de se transformer en armes émancipatrices. La prédominance du noir et blanc (décors et costumes), que viennent seulement troubler les costumes colorés imposés par l’occupant aux Helvètes, contribue elle aussi à décontextualiser l’intrigue et à moderniser l’œuvre.

Reste aussi à saluer la direction de Daniele Rustioni, qui respecte la partition tout en contenant ce qu’elle pourrait avoir de racoleur. On a particulièrement apprécié sa maîtrise dans la célébrissime ouverture où il aurait été si facile, et tentant, de laisser s’emballer l’orchestre. Et un nouveau bravo aux chœurs de l’Opéra, ici mis largement à contribution et comme toujours excellents sous la direction de Johannes Knecht.

Carmen S.

© Stofleth