« Féministes, nous ne sommes pas là pour être « chouettes » ! »
Lorsque mon compagnon s’est mis à parcourir les manifestations féministes du 8 mars* ou du 25 novembre** pour documenter les événements avec son appareil photo, on m’a dit : « il est chouette ton homme, il est féministe…» … C’est vrai : il est chouette mon homme, personne ne peut le nier. Il est vraiment chouette. Être féministe pour un homme, c’est chouette, ça fait de lui un type bien, un gars progressiste, ça le rend sympathique voire un brin sexy.
Mais personne ne m’a jamais dit que mon engagement féministe était chouette. Pourtant, j’en ai usé des semelles de chaussures sur les pavés, j’en ai hurlé des slogans à travers les rues de Lyon, Paris, Grenoble. De Bastille à République, de Bellecour à Jean Macé, je suis une serial-manifestante. Et personne ne m’a jamais dit que mon militantisme féministe était « chouette ». Personne ne m’a dit que j’étais « chouette ». Parfois j’éveille de l’indifférence, parfois, pire, de la méfiance.
Être féministe pour une femme, c’est une lutte, ça peut être pénible et voire, dans certaines circonstances, dangereux. Au mieux on entend des phrases de type : « elle va encore nous parler de droits… elle va ramener toutes les conversations à l’égalité des droits… elle va encore tout interpréter à l’aune de la domination… »… au pire, on en meurt. Être féministe pour une femme, ce n’est pas être chouette. Mais pour être honnête, je ne suis pas là pour être chouette. Je suis là pour brailler : « Et la rue, elle est à qui ? … à nous ! ».
Lorsque j’avais 22 ans, un homme séropositif m’a violée. Après m’avoir roué de coups, il m’a obligé à avoir des rapports sexuels non consentis. Oui c’est le principe d’un viol. Passer outre les volontés d’autrui, nier son individualité, utiliser son corps pour son propre plaisir comme si l’autre n’existait que comme un bien de consommation. Un morceau de chair à disposition. Coup après coup, menace après menace, il a fait tomber toutes les barrières qui me protégeaient et prenaient soin de ma dignité, ma confiance en moi, mon insouciance de jeune femme. Je suis devenue « rien ». Un corps vidé de sa substance de vie.
Un bout de mon cœur s’est à jamais nécrosé et est resté collé sur les murs de ce petit appartement, cette souricière dont je n’ai pu m’échapper. Et j’ai pris perpète. Ma vie s’est transformée en lutte. Contre la peur, contre la colère, contre la tristesse, contre moi-même. Depuis ce jour, minute après minute, seconde après seconde, je m’acharne à ne pas battre en retraite, à me sentir à ma place dans ce monde. A la bonne place. Dans les lieux que je visite et dans les rues que je foule. Campée sur mes deux pieds pour ne pas flancher, repoussant à force de courage la peur qui désormais m’accompagne.
Depuis ce jour, minute après minute, seconde après seconde, je m’acharne à reconstruire ce corps meurtri, abîmé. Cellule après cellule, organe après organe, membre après membre, je m’acharne à me reconstituer pour que ma joie demeure.
Alors, oui, je suis là pour brailler : « Solidarité avec les femmes du monde entier » car mon histoire, loin d’être isolée, est d’une banalité sans nom. En France, en 2021, au pays des droits de l’Homme, un viol ou tentative de viol est perpétré toutes les 2mn 30. A la fin de la lecture de cet article, une femme âgée de 18 à 74 ans (et on ne dit rien des autres) aura subi un viol ou une tentative de viol . Ça fait frémir n’est-ce-pas ? Ça nous fait changer de regard sur ceux et celles qui nous accompagnent ? Qui d’entre nous a le corps et cœur marqués par une agression ? Qui d’entre nous a marqué le corps et le cœur d’une personne en les prenant sans consentement ? Tournez la tête, un.e, deux, trois, peut-être quatre de vos proches ont été agressé.e.s, viol.é.es…
Quelques faits pour se rendre compte.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) alerte : à travers le monde, 140 millions de femmes et de jeunes filles sont victimes de mutilations génitales.
Amnesty International pleure : en moyenne, 30 % de toutes les femmes qui ont eu des relations de couple, ont subi au cours de leur vie une quelconque forme « de violence physique et/ou sexuelle de la part de leur partenaire intime » … 30 sur 100… « de la part de leur partenaire intime ».
Action Education rappelle : en cas de conflit 95% des victimes de violences sexuelles sont des filles ou des femmes.
La Fondation des femmes souligne : les violences sexuelles touchent toutes les catégories de la population, dans tous les pays.
L’Humanité dénonce : toutes les femmes dans la rue ont subi une agression sexuelle ou un viol. Toutes…
Alors oui, je suis là pour brailler : « Siamo tutte antifacscite » … Ces dernières années, en Europe (Danemark, Norvège, Italie, France, etc.), des femmes s’imposent à la tête de partis d’extrême droite. De Marine Le Pen à Giorgia Meloni en passant par Katalin Novak ou Alice Weidel, elles prennent le pouvoir et normalisent les discours sexistes (et racistes) des partis qu’elles représentent. Mais ne nous trompons pas : partout où monte le fascisme, les droits des femmes et des plus vulnérables régressent. Dans un article fort instructif , les sociologues Nonna Mayer et Fransceca Scrinzi interrogent les modèles français et italiens. Elles montrent entre autres comment les deux dirigeantes, Marine Le Pen et Giorgia Meloni jouent sur tous les tableaux de l’ambigüité. Alors qu’elles vantent le modèle d’une femme forte, indépendante, libérée, qui travaille voire qui gouverne, elles portent aussi une vision essentialiste des femmes dont la place serait auprès de leur famille et de leurs proches. Chaque genre est réassigné à un rôle déterminé au sein du foyer ou ailleurs dans la société. En brandissant la peur de l’étranger, elles détournent les yeux des vrais problèmes en omettant par exemple dire que c’est dans toutes les classes sociales et toutes les catégories de populations que se produisent des violences (viol, inceste, coups, agressions, etc.) sur les femmes.
Être féministe ce n’est pas une mode, ni une lubie d’hystériques mal baisées ni encore une folie de sorcières en manque de potion magique. Être féministe ce n’est pas non plus mettre des paillettes dans ses cheveux, s’habiller en princesses violettes pour faire sourire la galerie tous les 25 novembre. Être féministe, c’est une lutte. Une lutte pour les droits. Une lutte contre toutes formes de domination. Une lutte de tous les jours. Être féministe, c’est accepter de se mettre en danger.
Le combat féministe n’en exclut aucun autre. Au contraire, il les englobe car il est multiforme : intersectionnel, matérialiste, écoféministe, radical, etc. Il lutte contre toutes les discriminations pour qu’à terme, nous soyons tou.te.s chouettes ensemble. Alors merci à celles et ceux qui depuis des siècles braillent pour qu’enfin nous chaussions tou.te.s les « gafas violetas », les fameuses « lunettes violettes » qui font voir la vie du côté du féminisme.
Solidarité avec Gisèle Pélicot et #free Paul Waston (ça n’a rien à voir mais celles et ceux qui sauvent les baleines méritent de vivre en liberté.)
A mes proches qui sont chouettes. A ma petite maman et à mes filles. Je vous aime.
MC Chouchou
Oct. 2024
* Le 8 mars est la journée internationale des droits des femmes
** En 1999, l’ONU a choisi le 25 novembre comme journée de lutte contre les violences sexuelles ou sexistes faites aux femmes
Photos : Ludovic Viévard
Pour en savoir plus :
Le monde : Les violences sexuelles touchent plusieurs millions de femmes en France
France Culture : Féminisme, l’avant-garde espagnole
France Culture : Féminicides, la guerre mondiale contre les femmes
La déferlante, la revue des révolutions féministes
France victimes : 25 Novembre, Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes
Action éducation
Fondation des femmes
Amnesty international