Association Eisenia : vers une révolution du recyclage des déchets alimentaires ?

 

EiseniaAdepte éclairé du lombricompostage, Cyril Borron a fondé avec quelques loustics opiniâtres l’association Eisenia qui entend à terme, bouleverser le système du recyclage des déchets. C’est bientôt arrivé près de chez vous, quand bien même le manque de volonté politique en la matière est plutôt paroxysmique.

Un brin d’histoire ?

De par mon métier de paysagiste, j’ai simplement commencé à me poser des questions il y a sept ans, quant à la gestion de mes déchets…
Lorsque je réalisais des travaux d’entretien, le plus souvent chez des particuliers ; je récoltais ces déchets (branches, herbe, feuilles, épluchures etc.) pour les amener ensuite à la déchetterie et ça me coûtait 50 € la tonne. Quand ensuite je travaillais à la création de jardins, je rachetais cette même matière (!) transformée en sacs de composte, à des prix prohibitifs. Un composte qui de surcroît ne me convenait pas vraiment. En fait, c’est tout le circuit des déchets qui fonctionne ainsi : tu as des déchets et tu ne sais quoi en faire, tu files des thunes à quelqu’un qui les stocke et les transforme, pour ensuite te les revendre. C’est alors que je me suis renseigné sur le lombricompostage et j’ai commencé à utiliser cette méthode dans un centre équestre à Miribel, sachant que le fumier de cheval est l’aliment préféré des vers…

La différence entre compostage et lombricompostage ?

Pour ce qui est du compostage agricole classique, et même sur des petits volumes, il y a des émanations de polluants : du « jus » qui s’écoule dans les sols et des gaz à effet de serre qui se volatilisent dans l’air. Avec des vers qui mangent toutes les matières organiques (lombricompostage) et les transforment, il n’y a tout simplement plus de pollution ! Quant au composte obtenu, il est de meilleure qualité et protège les plantes contre les parasites et les maladies.

Lombricomposteur. Association Eisenia à Lyon. Un ver ça va, trois vers bonjour le composte… Un procédé ainsi transposable de la campagne à la ville ?

Bien sûr et c’est justement l’ambition qui nous anime avec Eisenia. L’enjeu est de retraiter à terme dans les centres urbains, 30% des poubelles des gens via le lombricompostage ! C’est ainsi que je suis devenu éleveur de vers. Et que notre association propose des lombricomposteurs de tous volumes, tant aux particuliers, aux agriculteurs, qu’aux communes. L’idée est de récupérer toutes ces matières organiques, de les transformer grâce aux vers, et de rendre ensuite le composte obtenu aux sols, sans avoir besoin d’utiliser toutes sortes d’engrais le plus souvent chimiques et polluants. Il y a donc dans cette économie circulaire une vraie dimension écologique.

Éleveur de vers ! 

Il y a certes une petite appréhension chez les gens avec les vers de terre… Qui disparaît assez vite et spécialement chez les enfants, lorsque nous réalisons des ateliers pédagogiques dans les écoles et dans les quartiers (voir photos). Les gamins sont par exemple très sensibles à nos animations autour du « tri » et l’on espère simplement qu’ils sauront ensuite transmettre le message à leurs parents. L’objectif est bien sûr d’essaimer partout la bonne parole.

Notamment parce que votre association défend des principes environnementaux…

Autour desquels a priori, tout le monde est d’accord. Le problème consiste ensuite à obtenir des soutiens pour réaliser nos objectifs de recyclage des déchets à grande échelle. En général, les élus sont tous très intéressés mais peu enclins débloquer des fonds pour lancer les projets.

C’est-à-dire ?

Si l’on arrive à réduire de 30% le poids des poubelles des gens (qui payent une taxe sur les ordures ménagères), il serait un peu logique que la collectivité nous aide dans cette démarche. Sinon on continue à construire des incinérateurs et à financer des mastodontes genre Véolia, Nicollin (etc.) qui ne s’inscrivent pas toujours dans une logique hyper verte… Quant à Monsantole tout chimique ! – qui règne sur le monde agricole, est-il vraiment besoin de vous faire un dessin ?

On imagine qu’il vous faudra être très persuasifs ?!

Je suis intimement persuadé que le lombricompostage c’est l’avenir, simplement parce que nous essayons de vendre aux gens de l’autonomie ! Exemple : un agriculteur qui valorise ses déchets n’aura plus forcément besoin d’acheter de l’engrais pour ses terres. Et c’est primordial quand on sait que le monde agricole est mourrant, que les paysans se suicident à la chaîne, et que bizarrement dans le même temps, beaucoup de gens ne mangent pas à leur faim…

EiseniaOk pour le monde agricole mais concernant les zones urbaines, il faudrait une sacrée volonté politique pour que le modèle économique de la gestion des déchets soit remis en question ?

C’est certain. Il va falloir nous adapter au système pour qu’il prenne nos doléances en compte. Mais sans avoir à changer forcément de ton. Et nous sommes justement en train de fédérer des citoyens pour se faire, en commençant par alerter tout un chacun sur le versant urgence de l’affaire. Puisque les enjeux sont non seulement écologiques mais aussi économiques. Recycler 130 000 tonnes de déchets organiques par an dans le Grand Lyon, coûte ainsi très très cher à la collectivité. Il existe pourtant des solutions alternatives que nous défendons et qui représentent l’avenir. Tel ce projet – non retenu – de « zéro déchets » (zero waste) que nous avions proposé pour le 1er arrondissement de Lyon. Nous ne nous inscrivons pas dans une logique d’écologie punitive comme c’est la mode depuis des lustres ; nous avançons simplement des propositions pour construire des systèmes de recyclage plus adaptés à l’environnement et au monde d’aujourd’hui.

Et vous avez ainsi organisé un débat à la Coopérative du Zèbre en compagnie de la sociologue Aurélie Dumain, autour de ces questions…

Pour constater que « les politiques » quels qu’ils soient, ont le plus souvent les pieds et les mains liés, de par leurs propres postures électorales et de par la volonté des grandes entreprises qui gouvernent la gestion des déchets et qui ne souhaitent pas vraiment que le modèle économique du recyclage soit repensé. Ainsi l’objectif du Grand Lyon est de recycler seulement 10% des déchets organiques de la collectivité sur une période de 15 ans… On est vraiment loin du compte.

Pour revenir à ce projet « zéro déchets » : ce type d’expérience du « tout recycler » a-t-elle déjà été tentée ailleurs ?

Eisenia
En fait, le lombricompostage existe déjà (pour les déchets organiques), le recyclage des encombrants aussi, par exemple sous la forme de troc etc. L’idée étant de fédérer toutes les énergies et toutes les façons de faire, pour générer un projet à grande échelle, qui n’a effectivement pas encore été finalisé, ni ici, ni ailleurs. Un vrai projet de développement durable, qui nécessite visiblement beaucoup de « réseaux », avant de pouvoir le mettre en route. Mais nous y travaillons.

Pour poser des lombricomposteurs géants au pied de tous les immeubles, on imagine qu’il faut une vraie logique industrielle derrière ?

Les entreprises qui les fabriquent existent également. On en revient surtout à un problème de volonté politique. Sachant qu’à terme, ce mode de recyclage non polluant, coûtera moins cher à la collectivité. De toutes les façons, la législation – notamment européenne – évolue, et bientôt tous les producteurs de déchets se verront dans l’obligation de les retraiter et les recycler convenablement.

Ce qui n’est pas le cas actuellement ?

Certainement pas. Et si l’on prend par exemple le marché de la X Rousse à coté de chez nous, voilà comment sont (non) triés et (non) recyclés les déchets (cf. photo) : tous dans la même benne ! Pour finir à l’incinérateur. Alors que tous ces déchets ont de la valeur…

Au-delà des déchets à proprement parler, c’est tout l’univers du grand gaspillage que vous pointez du doigt ?

Absolument. Et si tu permets par exemple à des associations et/ou structures qui s’occupent d’insertion sociale, de trier et de recycler ces déchets pour générer dans le même temps de la thune, du lien social et du travail ; c’est peut-être plus intelligent que de tout incinérer pour polluer un peu plus la planète, non ?!

EiseniaVous « essaimez » ainsi des projets d’économie circulaire (voir schéma), transposables de partout, et notamment concernant l’Internat Favre dans le 4e ?

Toujours avec un versant pédagogique (pour les petits et les grands) et un autre ayant à voir avec l’insertion sociale. Un projet englobant la création d’un jardin et d’un potager pour générer un minimum d’autonomie alimentaire. Un projet qui laisse bien sûr la part belle au recyclage multiformes et notamment au lombricompostage qui permettra de « nourrir » les espaces verts…

On en revient au lombricompostage !

Plus ça va et plus les sols sont morts, et ce partout dans le monde : si l’on continue avec la logique absurde des Monsanto et compagnie, qui ne cherchent qu’à faire de la thune au détriment de tout le reste ; ça risque un jour de se finir à la mitraillette…

C’est dire que vous vous inscrivez dans le long terme, face à la rentabilité et à l’immédiateté qui caractérisent une certaine forme de capitalisme sauvage ?

Carrément. Ces modèles économiques ne sont ni durables ni défendables. Et petit à petit, ça commence à se savoir.

Des lombrics et des hommes

 

Laurent Zine