La Saison des femmes

Drame réalisé en 2015 par Leen Yadav, avec Tannishtha Chatterjee, Radhila Apte, Surveen Chawla, sorti au cinéma le 20 avril 2016

 

Honni soit qui mâle y pense… La saison des Femmes, film indien

Ça se passe en Inde dans un coin reculé de l’Etat du Gujarat, au plus près de la vie quotidienne d’un village figé dans le temps, les traditions ancestrales du chef de village, les mariages forcés sous les regards intrusifs, vies espionnées et codifiées au nom de la religion, de la morale patriarcale, des besoins économiques, de la préservation du groupe et du « qu’en dira-t-on ».

Sur ce décor pétrifié, quatre femmes surgissent : Bijli, danseuse-prostituée, Rani, en révolte contre les traditions familiales, Lajjo, soi-disant stérile et donc méprisée et battue par son époux, Janaki, la toute jeune fille contrainte d’épouser Gulab, l’insupportable fils de Rani… Quatre femmes aux destins différents, quatre figures de fiction empruntées à la triste réalité indienne, qui vont faire exploser cet univers asphyxié par la domination masculine.

Dans cette société, comme dans bien d’autres points du monde, une seule alternative est offerte à la femme :
– épouse humiliée, battue, violée, soumise à tous… Ventre voué à la seule progéniture mâle, dans l’aveuglement du désir frustré, destiné à reproduire, à l’infini, l’écrasement de la femme par l’homme ad vitam aeternam… (amen !)
– OU BIEN… Putain splendide, balayant les interdits pour mieux déchainer les fantasmes et justifier les excès, déchainant tour à tour désir fou, violence meurtrière ou fascination terrifiée !
L’audace incroyable de ce film, c’est d’avoir confié le salut de ses héroïnes à cette magnifique femme au parler insolent et libérateur !

Une scène du film indien : La saison des femmesPar un magistral tour de passe passe, le verbe magique de Bijli, personnage habité, mi- prêtresse, mi-sorcière, stigmatise la monstrueuse schizophrénie d’une société qui, dans son folklore et ses idoles, célèbre depuis des millénaires le corps féminin et l’art de l’amour, pour mieux les piétiner au quotidien ! Le pays du Kamasutra, champion de l’érotisme raffiné, patrie des déesses fardées et avenantes au corps voluptueusement révélé sous la transparence des voiles, massacre, chaque jour que Krishna fait et au nom de l’irréductible supériorité masculine, le corps et les rêves de ses épouses, de ses mères et de ses filles…
Quelques situations révoltantes, empruntées à la triste réalité, en témoignent :
– Une jeune adolescente, mariée à un époux impuissant qui ne la touche pas mais la fait violer par toute sa famille, ne peut fuir cet enfer car cela « déshonorerait » son village…
– Rani, d’abord battue par son mari, verra son avenir détruit par son fils qui la vole et la ruine.
– Lajjo, accusée à tort de stérilité, est systématiquement martyrisée par son alcoolique de mari !
– Bijli, la danseuse prostituée, déchaîne les passions qu’elle canalise mais ne cesse d’être désignée comme objet de scandale et de honte, tout en faisant la fortune des proxénètes et le bonheur du village !
– Janaki, est publiquement humiliée et rejetée parce qu’elle a dû couper ses cheveux, symbole de la seule féminité respectable…

La saison des femmesComme dans Rocco et ses frères, les mâles, jeunes ou vieux, alternant beuveries et violences sexuelles, traînent des vies inutiles aux crochets de leurs épouses qui travaillent comme des forcenées sans avoir le droit de prétendre à un salaire ou à la moindre reconnaissance. Ce sont pourtant les femmes qui font vivre cet univers mortifère : certaines se consacrent au tissage et à la broderie, dans l’entreprise du seul homme sympathique, suspect aux yeux des villageois de par son ouverture d’esprit et son mode de vie : il a épousé une femme instruite et libre ! Etonnamment, ce n’est pas de ce couple que viendra le salut mais de nos quatre héroïnes qui vont peu à peu briser leurs chaînes et nous emporter dans leur furieuse révolte.

Malgré ce qu’il révèle d’atrocités, ce film n’est pas noir : aucune complaisance à la souffrance subie mais une force peu commune, une résilience incroyable à la bêtise et à la haine, l’envie tripale de jouir de la vie, de l’amour, du vent dans les cheveux… On n’en veut pour symbole que ce véhicule improbable, ailé, multicolore, surréaliste, qui emporte nos héroïnes vers chacune des étapes de leur irrésistible libération, ou cette scène défiant la censure au cours de laquelle Lajjo, conduite par son amie dans une grotte miraculeuse, découvre pêle-mêle plaisir et fécondité, sous les caresses d’un ermite-gourou aussi séduisant qu’improbable !

Aux antipodes du plaidoyer misérabiliste, ce film aux couleurs somptueuses, à la fantaisie débridée tout droit venue des studios de Bollywood, dénonce, sans faiblir mais sans pathos, les horreurs et la stupidité de cette société archaïque, cramponnée à des préceptes imbéciles et à des mythes en carton pâte ! Quatre femmes lui opposent triomphalement leur complicité exemplaire, leur solidarité joyeuse et leur imaginaire conquérant : qu’elles revendiquent la télévision comme outil d’émancipation ou l’usage détourné d’un vibrant portable pour supplanter le mâle tant redouté … Le final, totalement subversif, se déroule sur fond de célébration de la déesse de la féminité, triomphant du mal (mâle) avec une flèche enflammée, symbole grotesque d’une schizophrénie assassine.

Leena Yadav, dans le sillage de Mustang, signe ainsi une œuvre bouleversante d’insolence, de courage et d’humour ravageur, trois fusées lumineuses déchirant les ténèbres !

La vieille dame indigne.

 

Voir ci-dessous l’interview de la réalisatrice : http://www.aufeminin.com/sorties-cinema/la-saison-des-femmes-rencontre-avec-sa-realisatrice-leena-yadav-s1788408.html