Das SimpleDAS SIMPLE fait partie de ces groupes qui font que j’ai encore envie d’écouter de la musique. Écouter de la musique cela ne signifie pas uniquement allumer sa radio pour avaler sans broncher la dernière soupe labélisée chanson française et à textes ni errer sur un site de partage de vidéos en ligne pour admirer les prouesses arty d’un énième boys band garage punk ou d’une diva electro-kitsch. Non, écouter de la musique c’est se laisser surprendre, découvrir (parfois) au hasard et faire preuve d’un minimum d’exigence sans pour autant s’enfermer dans trop de rigueur ou de prétention. Avec les fêtes de fin d’année et la tradition très lyonnaise des papillotes accompagnées de leurs messages non subliminaux et très rarement sublimes, j’ai eu droit comme presque tout le monde à mon indigestion consumériste et je suis surtout retombé, en dégustant un praliné nappé de chocolat au lait chimique, sur cette citation sans équivoque d’un grand ami philosophe : « sans la musique la vie serait une erreur ». Merci Friedrich, c’est tout à fait ça.

Das Simple est un groupe exigeant mais également un groupe à surprises. Et contrairement à ce que ce nom de Das Simple pourrait le laisser penser, rien n’est réellement prévisible ou balisé… Les marseillais ont publié leur deuxième album In Girum Imus Nocte en octobre 2013 et en découvrant celui-ci, j’avoue que j’ai d’abord eu un léger moment de doute voire un petit mouvement de recul : Ramon Kalifa, auparavant guitariste et chanteur de Das Simple, avait bel et bien quitté le groupe. In Girum Imus Nocte a de fait été enregistré en formation réduite et à trois puisque Julius, bassiste et compositeur en chef de Das Simple, a repris le micro tandis qu’Arnalux a eu la lourde tâche d’assurer toutes les parties de guitares. Un changement de line-up qui explique sans doute le côté encore plus cérébral et encore plus architecturé d’In Girum Imus Nocte par rapport à son prédécesseur, ce premier album sans titre avec lequel Das Simple m’avait ébouriffé les sens en 2010, déjà. Passé ce léger dépaysement et cette mise au point faite, il convient également d’admettre qu’In Girum Imus Nocte est un album génialement difficile. Mais surtout un album aussi fou qu’indispensable. Quand même.

Das Simple

Das Simple reste également l’un des rares groupes au sujet duquel je consentirais, pour tenter de décrire un tant soi peu sa musique, à employer le terme honni entre tous de « progressif ». D’ailleurs je n’en profite pas pour derechef coller ce dernier à celui de« rock », uniquement parce que Das Simple va bien au delà de la perversion préméditée et sadique de cette musique de blanc-becs. Ce qui ici fait passer la pilule et permet à Das Simple de ne pas tomber dans le démonstratif pénible ou la branlette d’instrumentistes pétomanes, c’est une imagination proche du délire perpétuel, une faculté à rendre immédiat ce qui pourtant pourrait sembler bien compliqué et un sens du rebrousse-poil qui débouche sans cesse sur de nouvelles perspectives. Le cul par dessus la tête et inversement : le titre du disque est même tiré d’un film pour de Guy Debord – dont on ne trouve jamais de citations dans les papillotes lyonnaises – et il s’agit surtout d’un magnifique palindrome, soit « in girum imus nocte et consumimur igni » et que l’on peut traduire par « nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes dévorés par le feu ». Je précise enfin que si le début de In Girum Imus Nocte me semble un peu moins fort et moins azimuté que sa fin, à partir de Quand La Chine S’Éveillera Dans Ton Cul Ça Fera Toujours Moins Mal Que L’Afrique (non mais quel titre !), Das Simple tutoie littéralement les esprits frappeurs et autres démons de la débauche über sonique pour mieux nous convertir à sa folie et, in fine, nous inciter à déchainer la notre.

In Girum Imus Nocte a fait l’objet d’une publication en CD et en vinyle mais Das Simple n’hésite pas non plus à laisser toute sa musique en téléchargement libre et gratuit sur internet, sous licence Creative Commons (une pratique qui a d’ailleurs également cours au Zèbre, idéalistes que nous sommes). Ceci en dit long sur l’engagement artistique (et politique) d’un groupe dénonçant à juste titre la surenchère commerciale d’une société du spectacle – encore Guy Debord – qui ne donne à voir et à entendre rien d’autre qu’elle-même, représentation en abyme de son vide abyssal et surexploitation mercantile de sa vacuité complaisante. C’est le label parisien (et grand organisateur de concerts improbables) En veux-tu ? En v’la ! qui a publié In Girum Imus Nocte dont vous pouvez découvrir Cages, un titre totalement et déraisonnablement labyrinthique et pièce maitresse du disque, grâce au player ci-dessous. Tout le reste de l’album est bien sûr à découvrir sur la page Soundcloud de Das Simple, de même que le premier album ainsi que quelques démos préparatoires à In Girum Imus Nocte et qui documentent assez bien les méandres tortueux qu’a du traverser Das Simple pour arriver à ce somptueux résultat final. Le groupe sera également et surtout en concert à Lyon le mardi 21 janvier, au Périscope (13 rue Delandine, Lyon 2ème) avec un line-up recomposé grâce à l’arrivée d’un quatrième membre et nouveau guitariste.

Das Simple

Le Périscope fera d’ailleurs très, très, fort la même semaine en accueillant également dès le jeudi 23 janvier rien de moins que Rhys Chatham et son célébrissime et séminal Guitar Trio  : Rhys Chatham est tout simplement une légende de la musique expérimentale. Il a tout d’abord été influencé par la musique minimaliste américaine (La Monte Young notamment) avant de découvrir les joies de la guitare électrique, de dépuceler Glenn Branca – les mauvaises langues affirment que ce dernier a littéralement tout piqué à Rhys Chatham – et de poser les bases d’un « rock » aussi bruyant que sulfureux, inspiré des principes du minimalisme et de la dissonance. Des gens comme Sonic Youth devaient beaucoup à Chatham à leurs débuts. Et d’une manière générale la musique doit beaucoup à ce très grand monsieur.

Hazam.