Danser encore, danser enfin

L’Opéra de Lyon a réouvert en ce mois de septembre avec un programme de solos de danse contemporaine : sept chorégraphes (Jan Martens, Yuval Pick, Bintou Dembélé, Ionnis Mandafounis, Mercedes Dassy, Jone San Martin, Kylie Walters) qui écrivent pour sept danseurs du ballet de l’Opéra de Lyon (Kristina Bentz, Marco Merenda, Merel van Heeswijk, Yan Leiva, Maeva Lassere, Julia Carnicer, Anna Romanova), moins de 20 minutes pour chaque solo. De la danse contemporaine dans tous ses états.

Quelle joie de pouvoir enfin retourner au théâtre, s’assoir sur les chaises noires de l’Opéra — en choisissant son fauteuil (normes covid oblige) — et attendre avec impatience que le rideau se lève ! Quelle joie de voir danser encore, toujours et surtout à nouveau ! Comme si ces derniers mois nous avaient tant contraints et réduits à de si petits gestes dans de petits espaces, à de courtes promenades ou échappées furtives, que le plaisir de voir des corps s’envoler, traverser en courant la scène ou tourner à n’en plus finir, devait être encore plus jubilatoire qu’à l’accoutumée.

Mais c’était oublier sans doute que la danse contemporaine parle aussi de notre époque, de nos expériences corporelles et qu’inévitablement elle raconte aussi l’enfermement, la solitude (des solos, c’est facile), la fusion du masculin et du féminin, la transformation au point que bien des solos présentés dans ce programme se développent dans de longues contorsions, se répètent dans des enchainements circulaires et jouent des replis sur soi. Ça danse, certes, bien en plus, mais ça danse aussi parfois comme en temps de covid. Racontant autant nos épreuves que les tentatives pour s’en extraire, ces solos proviennent pourtant d’univers artistiques très distincts et c’est probablement la richesse de cette programmation.

S’y côtoient en effet des chorégraphes aux racines artistiques diverses : l’école belge de danse contemporaine pour Jan Martens, pour Jone San Martin, chorégraphe basque espagnole formée à l’école Mudra de Bruxelles et pour Mercedes Dassy, installée à Bruxelles et travaillant notamment avec la scène artistique bruxelloise ; avec le hip hop dans le cas de la chorégraphe Bintou Dembélé revisitant la street dance ; les arts martiaux et la danse classique dans le cas de Ionnas Mandafounis ou encore les danses traditionnelles et la mémoire dans le cas de Yuval Pick. Ce n’est pas nouveau mais la danse contemporaine n’a cessé de se nourrir de multiples influences. C’est dans ces expérimentations (à la recherche d’influences issues d’autres danses, d’autres pratiques artistiques ou dans la quête d’un récit social ou politique — comme dans le cas de Bintou Dembélé) que se déploie sa créativité (parfois plus relative), sa relecture du passé (comme dans le cas du solo « Terrone » de Yuval Pick), sa nostalgie d’époques plus récentes (comme les concerts rock de Kylie Walters), son sens des petits détails (comme dans le solo très réussi « Period piece » de Jan Martens) ou son humour (dans « cuerpo real » de Jone San Martin). Dans tous ces registres, les interprètes du ballet de l’Opéra de Lyon démontrent, une nouvelle fois, qu’ils aiment et savent danser. Quel soulagement, de la danse, enfin.

Marius Navaja

photos : © Charlène Bergeat