DES SOUVENIRS FAMILIERS

 

cartedesejour-d8bb0_copiefinal-39809« Une bonne journée est celle où le passé s’est tenu à peu près tranquille…  »
Si cette maxime de Jean Rostand peut subtilement faire mouche individuellement parlant ; elle me semble néanmoins inadaptée d’un point de vue collectif, tant la mémoire fait actuellement figure de seul rempart face à la recrudescence exponentielle de connerie arrogante, couplée à un surplus malsain de haine ordinaire. Une association qui transpire dans l’air (pourri) du temps et qui ne saurait être endiguée par une sorte de consensus mou. Quand la mentalité Dupont Lajoie s’affiche à nouveau et sans honte sur les écrans.

Ainsi revient-il à ma mémoire des souvenirs familiers. Des histoires que l’on m’a racontées quand j’étais enfant et qui résonnent en moi depuis ; au diapason d’une chanson de Charles Trenet, revisitée alors que j’étais adolescent, par le groupe croix-roussien Carte de Séjour. Si ce n’est que la tangibilité de cette « douce France » s’évapore présentement au fur et à mesure que je lis les journaux en écoutant la radio. La radio, autrefois première compagne de mes nuits blanches, et qui a aujourd’hui lâchement oublié les notes  » hautes en couleurs  » – quand j’entends ça, j’ai envie d’être vulgaire – de la Rhorhomanie… la danse d’aujourd’hui.

Souvenirs familiers disais-je. Nous sommes au tournant des années 1920-30, et voilà que mes grands-parents disséminés aux quatre coins de l’Europe Orientale vont devoir quitter leur home, not so sweet home en abandonnant tout derrière eux ; c’est dire le peu qu’ils avaient construit depuis quelques générations. Entre-temps, ils avaient pu goûter aux joies incommensurables de la Grande Guerre, de l’after révolution bolchevique et des conflits balkaniques post dislocation de l’Empire Ottoman.

comicsss_copiee-fe6dfComme tant d’autres, ils ont ainsi dû migrer. Et ils n’avaient pas le choix. Une main certes dans le dos, mais avec l’espoir d’une vie forcément meilleure. Traversant les steppes ou bien les détroits de Marmara, pour rejoindre quelques embarcations dans le bleu de la mer Égée ; là où leurs ancêtres avaient, en des temps immémoriaux, croisé la route de la démocratie. Là où se noient actuellement des wagons de réfugiés syriens, au pied de la citadelle Schengen.

Et de me demander gauchement si de tout temps, les hommes n’ont-ils pas migré, quelle qu’en soit la raison ? Si le monde ne s’est pas simplement agencé comme cela depuis le début de l’humanité ? Enfin bref, ils sont partis, en direction de la terre des Lumières et des Droits de l’Homme où ils furent relativement bien accueillis, dans les cantonnements proches de Pont-de-Chéruy… Sauf que, la grande histoire a eu tôt fait de les rattraper, alors que l’Europe des nations tout entière se préparait à s’embraser à nouveau. Sur le terreau d’une implacable crise économique, nazisme et fascismes de tous bords allaient ainsi rapidement conduire le vieux continent là où l’on sait. Et là où l’on devrait surtout se souvenir, quand de Budapest jusqu’à Brignoles en passant par Athènes, Zagreb ou Oslo, on aime aujourd’hui jouer avec le feu en cultivant les fleurs du mal (rien à voir avec Charles B) sur le même terreau putride.

comics_3_-_copie-67f72Ils sont partis en France quand d’autres traversaient l’Atlantique pour rejoindre America, America d’Elia Kazan. Et là encore, il me revient quelques souvenirs familiers. Enfant, j’ai moi aussi découvert l’Amérique (!) mais à travers Les Comics. Ce que je ne savais pas en revanche à l’époque, c’est dans quelles circonstances ils avaient été créés. Les Comic Books sont ainsi apparus aux USA dans les années ’30, avec Superman puis Batman, avant Captain America etc. Des super-héros imaginés à l’origine par des migrants qui avaient fui l’Europe (on y revient), pour qu’ils anéantissent symboliquement la Bête Immonde. Et vous comprenez aisément de quoi il s’agit quand on vous dit que le 1er Superman est paru en 1933… À un moment de l’histoire, où sur les rives du Rhin jusqu’au Danube, il ne faisait pas bon être juif, noir, tzigane, basané, homosexuel, slave, communiste etc. etc.

Mais « voilà, voilà, qu’ça recommence… »
Mêmes délires paranoïaques et mêmes envies de rejeter l’étranger à la mer. Focaliser sur l’autre, quel qu’il soit. On comprend alors pourquoi certains ont dans l’idée de réviser le passé à leur guise, évitant ainsi d’avoir à en tirer les leçons.
Voilà, voilà qu’ça recommence. Et je me retrouve moi aussi à imaginer de nouveaux super-héros qui iraient distribuer des gifles à Orban, Le Pen, Michaloliákos et consorts. Si ce n’est que la bande dessinée n’a jamais suffit pour changer le cours de l’histoire. Nous avons ainsi grandement besoin aujourd’hui de super anti-héros ordinaires, non consensuels, à même de moucher et d’abord avec des mots, les tenants d’une Europe brune et populiste.

images2-aa256Je n’ai jamais connu mes grands-parents parce qu’ils sont morts avant que je naisse ou que je grandisse, ayant au préalable traversé le siècle de tous les dangers. Ils n’avaient a priori aucunes orientations religieuses, politiques ou même communautaristes ; ils ont pourtant sacrément morflé face au repli identitaire généralisé. Face à la politique du bouc émissaire institutionnalisée. Face au racisme latent d’une grande partie de la société française. Face à la bêtise humaine finalement portée au firmament. Ils ont eu néanmoins la volonté de transmettre à leurs enfants l’idée selon laquelle, la haine aveugle de l’autre, n’a jamais apporté quoi que ce soit de bon en ce vaste monde. Et surtout pas résolu les désastres humains dus à un système économique cyclothymique et désormais « mondialisé ».

Le temps pour moi de rebondir en fin de chronique sur le thème de la 4e édition des Quartiers Libres qui se tiendront à St Etienne du 13 au 15 décembre : « la mémoire est une arme ! »
Si effectivement, comme je viens de tenter de vous l’exprimer, je suis persuadé que la mémoire est un genre de devoir qui a à voir avec l’esprit de résistance ; elle est également un moyen efficace de savoir d’où on vient avant de tracer politiquement et philosophiquement la route de demain. Mais avant de tracer la mienne, je vous rappelle que ces Quartiers Libres se déclinent en repas, discussions (transmission de la mémoire et luttes actuelles), concerts (Muckrackers, Anny Kassy etc.), expositions et performances (MC Cordat), et vous invitent d’ores et déjà à réfléchir à cette missive : « La bourgeoisie rêve d’un adversaire prolétarien sans mémoire et incapable de retrouver le sens historique de son combat. Un militant sans mémoire est un militant pieds et poings liés à un présent sans futur. »

À bon entendeur…

 

Laurent Z

Tout le programme ici : http://lenumerozero.lautre.net/article2650.html

Douce France :

Muckrackers :