L’Ange de feu, de Serge Prokofiev à l’Opéra de Lyon du 11 au 23 octobre

Attachez vos ceintures : c’est à un voyage en grande hystérie que nous invite l’Opéra de Lyon pour sa rentrée. L’Ange de feu, dont Prokofiev a écrit la partition et le livret, nous entraîne en effet dans l’univers, supposé féminin par excellence, des attaques nerveuses avec convulsions, angoisses, hurlements et, surtout, hallucinations à caractère érotico-mystique. Contemporaine des théorisations de Freud, l’œuvre se déroule pendant ce XVIe siècle qui vit se multiplier les cas de possession féminine dans les couvents et, consécutivement, les bûchers de sorcières.

 

"L'ange de Feu" Serge ProkofievÀ peine rentré des Amériques, le chevalier Ruprecht secourt dans une auberge sa voisine de chambre Renata, paniquée par une apparition. Une fois réconfortée, celle-ci lui raconte qu’enfant, un ange de feu nommé Madiel venait la visiter pour jouer avec elle. Devenue adolescente, elle voulut passer à des jeux plus charnels avec lui ; d’abord réticent, Madiel lui annonça finalement qu’il reviendrait sous les traits d’un homme que Renata a d’abord reconnu en la personne du comte Heinrich avec qui elle a vécu une intense passion avant d’en être abandonnée.

Ruprecht et Renata partent à la recherche d’Heinrich, multipliant les rencontres étranges (l’occultiste Agrippa, des squelettes dansants, une nuée de diablesses, Faust et Méphistophélès…) et les recours magiques (divination, incantations, rituels de géomancie, lectures de la Kabbale…). Renata pousse Ruprecht à affronter Heinrich en duel mais le quitte à peine remis de ses blessures pour entrer dans les ordres où elle espère trouver enfin la paix. Peine perdue : dès son arrivée, le couvent est agité de secousses démoniaques, les nonnes sont prises de convulsions et c’est après une impressionnante crise de possession collective que l’inquisiteur, appelé en renfort, condamne Renata au bûcher.

Au diapason des ambivalences de son héroïne, le livret ne tranche pas véritablement entre thèse mystique (Renata possédée par un démon qui a pris les apparences d’un ange) et thèse psychopathologique (Renata devenue hystérique suite à des traumatismes infantiles). C’est la seconde voie que paraît privilégier le metteur en scène Benedict Andrews mais de manière subtile, par suggestions plutôt que par lourdes allusions. De fait, toute la mise en scène suggère le trouble et l’hallucination : les personnages se multiplient, le plateau tourne en permanence, le décor est constamment démonté et remonté…

 

"L'ange de Feu" Serge Prokofiev

 

Mais ce sont les références à l’enfance et à la sexualité de Renata qui instillent le plus sourd malaise. Si elle est toujours court vêtue, et offre ainsi un corps désirable au regard de Ruprecht, c’est dans une robe d’enfant rose bonbon. De même les fillettes qui, dans la même tenue, accompagnent le personnage apparaissent à plusieurs reprises vulnérables devant des figures masculines imposantes — a fortiori lorsque, comme Heinrich, elles arborent un col romain. Agrippa aux caresses ambiguës sur le bras d’une fillette ou Méphistophélès qui dévore le petit aubergiste qui tarde à le servir ne sont pas plus rassurants et esquissent une lecture de l’œuvre où se révèle le pouvoir destructeur — incarné par l’inquisiteur dans le climax final — des hommes adultes sur les enfants.

"L'ange de Feu" Serge Prokofiev

La direction impeccable de Kazuchi Ono appuie en finesse la progression dramatique de la partition tandis que les deux rôles principaux sont vaillamment servis par Laurent Naouri et Ausrine Stundyte. Une mention spéciale doit être réservée au chœur des nonnes (dirigé par Philip White) dont la prestation tant vocale que scénique du dernier acte est à couper le souffle. De l’hystérie considérée comme un des beaux arts…

 

 

Carmen S.

 

© Jean-Pierre Maurin