A propos de La Damnation de Faust (Opéra de Lyon, du 7 au 22 octobre)

 

 

L’actualité culturelle lyonnaise donne actuellement lieu à une convergence inattendue. Tandis que l’Opéra de Lyon ouvre sa saison avec Berlioz et sa Damnation de Faust, les cinémas projettent le nouveau Woody Allen, L’Homme irrationnel — deux œuvres aux thématiques étonnamment similaires. Toutes deux mettent en scène des intellos vieillissants qui broient franchement du noir. Le Dr Faust traîne son aigreur morose et prend des pilules pour dormir tandis que le prof de philo Abe Lucas (Joaquin Phoenix) tourne au single malt et n’est plus qu’un « intello à bite molle ». Tous deux vont cependant reprendre goût à la vie, ce qui signifie notamment entreprendre de se taper une jeunette (la pimpante Marguerite dans l’opéra, une étudiante court vêtue jouée par Emma Stone dans le film). Le prix à payer pour ce regain de vigueur et de joie de vivre est cependant des plus élevés, puisque cela passe par un engagement résolu dans le mal. Le premier, on le sait, vend son âme au démoniaque Méphistophélès tandis que le second se met en tête de redonner sens à son existence en commettant un meurtre « altruiste ».

operadamnationfaust50© Stofleth

 

Soyons honnêtes, La Damnation de Faust est un ouvrage plus sérieux que la présentation désinvolte qu’on vient d’en donner. Goethe, dont Berlioz s’est directement inspiré, n’a pas spécialement une réputation d’auteur comique et, de manière générale, le romantisme de la première moitié du XIXe est plus tourmenté que primesautier. Le metteur en scène David Marton a cependant décelé dans l’œuvre quelques opportunités de gag qu’il a su faire prospérer (« sans doute je dérange » fait Méphisto en apparaissant au coin du lit où s’ébattent Faust et Marguerite). Son choix de situer l’action des deux premières parties dans un décor semi-désertique, orné d’une sorte de pont autoroutier en ruine avec voiture et costumes des années 30-40, laisse quelque peu perplexe. Les troisième et quatrième parties, quant à elles, prennent place dans espace blanc qui certes suggère la chambre virginale (pas pour longtemps) de Marguerite mais annonce aussi la tournure plus clinique du final. Et puisqu’on parle de Marguerite, Kate Aldrich sait trouver une voie médiane, avec ce qu’il faut de sensualité, entre la « putain » qu’on l’accuse d’être et la sainte-nitouche que le rôle pourrait imposer. Le Faust de Charles Workman manque un peu de présence mais il faut dire qu’il a fort à faire avec le Méphistophélès de Laurent Naouri. Pas véritablement inquiétant mais plutôt affable, enveloppant et somme toute suave, il dirige Faust avec les manières d’un DRH — dont il a endossé le costume, la cravate et la mallette — capable de faire souscrire des salariés à leur propre licenciement.

operadamnationfaust35© Stofleth

Bref, Marton réussi globalement à secouer la poussière de l’intrigue et, bien appuyé par les chœurs et un orchestre auquel la partition accorde somme toute peu de morceaux de bravoure, livre un spectacle plaisant. La mise en scène n’est certes pas sans incongruités — comme le pauvre cheval blanc qui s’ennuie à mourir pendant toute la première partie et qui commence à s’énerver quand le tempo accélère — mais livre aussi de jolies trouvailles, tels ces diables tout droits sortis d’un tableau de Magritte. L’usage de la vidéo tombe parfois à plat lorsqu’elle n’ajoute rien à ce qui se passe sur scène mais donne sur la fin de bons moments, comme celui de la damnation de Faust filmée comme une autopsie ou la sortie de Méphisto, son travail achevé, dans les couloirs de l’opéra et les rues de Lyon, confirmant ainsi ce que l’on soupçonnait déjà : le diable habite côté Saône.

Carmen