Iolanta – Perséphone à l’Opéra de Lyon du 11 au 26 mai
Deux opéras de musiciens russes pour le prix d’un en ce moment à l’Opéra de Lyon. Rien d’une promo commerciale cependant mais une mise en perspective des démarches musicales de Tchaïkovski — à qui l’on doit la première œuvre, Iolanta — et de Stravinski — auteur de la partition de la seconde, Perséphone. Effort de mise en cohérence, également, par une communauté de mise en scène (Peter Sellars), de décor (George Tsypin), de costumes (Martin Pakleninaz) et de direction (Martyn Brabbins). Cohérence n’est toutefois pas unité, et les deux œuvres présentent d’importants contrastes.

Opéra de LyonIolanta
relève encore de la tradition romantique du XIXe siècle et de son goût pour les contes et légendes moyenâgeux. Le roi René de Provence (Dmitry Ulyanov) a interdit de révéler à sa fille Iolanta (Ekaterina Scherbachenko) qu’elle est aveugle. Celle-ci ignore donc qu’elle est privée de ce sens qu’est la vue, tout en ressentant avec mélancolie que quelque chose manque à son complet bonheur. Égaré dans le jardin luxuriant où sommeille la princesse, le comte Vaudémont (Arnold Rutkowski) tombe amoureux d’elle illico, mais lui révèle son handicap quand elle s’obstine à lui cueillir des roses blanches alors qu’il lui en demande des rouges. Le médecin maure Ibn-Hakia (Williard White), que le roi a convoqué pour tenter de soigner sa fille, saisit l’opportunité : la guérison ne sera possible que si Iolanta désire ardemment recouvrer la vue. C’est bien sûr ce qui se passe, et Iolanta découvre la lumière en même temps que l’amour, et le tout s’achève sur un happy end général (notamment pour le duc Robert, à qui Iolanta avait été promise mais qui lui préfère une Mathilde).

La partition soyeuse de Tchaïkovski sert davantage les voix que l’orchestre, et l’interprétation des airs du roi René, de Robert et de Vaudémont réserve de beaux moments, de même que le duo floral entre Vaudémont et Iolanta. La mise en scène et le décor, par contre, peuvent paraître inutilement austères. L’insistance sur le handicap de Iolanta est plutôt lourde — tous les personnages à l’exception du rôle-titre sont vêtus de sombre, la scène reste plongée dans une obscurité soulignée par l’usage de projecteurs et d’ombres chinoises — alors qu’un peu de la luxuriance du cadre évoquée dans le livret aurait relevé le côté optimiste de l’intrigue.

Perséphone présente une toute autre histoire — même si la nature végétale et l’opposition obscurité-lumière jouent ici aussi un rôle prééminent. La source en est le mythe homérique de la fille de Déméter (la déesse grecque des moissons), enlevée par le roi des enfers Pluton. Une grenade lui rappelant la lumière terrestre, Perséphone quitte les enfers pour retrouver sa mère qui la cherche désespérément et pour s’unir à Triptolème à qui Déméter a enseigné l’art du labour. Mais elle reste en tant qu’épouse de Pluton la reine des enfers, où elle devra retourner régulièrement — métaphore du cycle des saisons.

 

Opéra de LyonAndré Gide, auteur du livret, tenait la musique d’Igor Stravinsky pour responsable de la difficile compréhension de l’œuvre. Jugement injuste, certainement, car c’est la conception même de Perséphone qui en rend l’accès ardu. Un seul chanteur (le prêtre Eumolpe, interprété par Paul Groves, qui narre l’action), un chœur (qui lui aussi, comme dans la tradition antique, narre et commente l’action) et une comédienne (Pauline Cheviller) qui se fait la voix de Perséphone, le dispositif peut déconcerter. Mais ce n’est finalement pas bien grave car ce Perséphone est aussi, et surtout, une œuvre chorégraphique. Les danseurs du Amrita Performing Arts du Cambodge interprètent admirablement le récit et c’est essentiellement à eux que l’on s’intéresse tant leur prestation est élégante et subtile. Ombre et lumière, à nouveau : à l’obscurité du mélodrame antiquisant s’oppose la grâce lumineuse de la danse asiatique.

Carmen S.

© J.-P. Maurin