Bring the noizeBring the noizeBring The NoiZe :
une rubrique discophile récurrente mais à périodicité totalement aléatoire ; on y parle de disques plus ou moins obscurs (mais pas toujours) et publiés pour la plupart par des micro labels tenus par des passionnés enthousiastes et dévoués (mais pas seulement) ; alors autant dire que la seule règle de conduite suivie ici est celle de la subjectivité voire de la mauvaise foi… ce qui signifie également que la meilleure façon de découvrir des musiques, des groupes et leurs disques, c’est d’aller les écouter et de se faire une opinion par soi-même.

a1151638340_2uKanDanZ est un groupe fondamentalement excitant : en associant les musiques éthiopiennes traditionnelles et populaires avec l’incandescence du free jazz et la solidité du noise rock mathématique, ces cinq musiciens ont donné naissance à l’une des choses les plus jubilatoires et les plus généreuses que je connaisse. Yetchalal, tout premier album de uKanDanZ, était un petit bijou de force et d’émotion mais il commençait un peu à dater (2012). Histoire de remettre les pendules à l’heure, le groupe a publié fin 2014 chez Dur Et Doux un nouveau 45 tours vinyle totalement explosif et s’apprête à enfin enregistrer un deuxième album. Parallèlement, uKanDanZ a également décidé de retourner sur les routes ; par exemple le groupe jouera le 24 janvier à la Péniche de Chalon Sur Saône, le 27 au Marché Gare à Lyon ou le 28 à la mythique Cave 12 de Genève. Des dates à ne rater sous aucun prétexte, ne serait-ce que pour Asnake Gebreyes, lion magnifique et vociférateur doté d’une voix aussi envoutante que princière. Ni jazz, ni rock, ni trad, uKanDanZ transcende les genres en une boule d’énergie effervescente de sensations passionnelles. La « fusion », genre musical artificiel et honni, saloperie ethno-révisionniste pour européens colonisateurs, est à dix mille lieues en dessous de l’inventivité et du déchainement de la musique du quintet. Magique.

a3563857200_2Dans les années 2000, on a du supporter tellement de groupes instrumentaux vaguement dépressifs et, malgré le recours à la grandiloquence, jamais très éloignés de l’insignifiance – toutes ces machins post-rock, post-hardcore atmosphériques et j’en passe –, que désormais la méfiance s’impose dès qu’un énième rejeton du genre semble faire son apparition. En l’occurrence je vais vous parler de , ça se prononce [L’Effondras], un trio basé du côté de Bourg-en-Bresse et composé de deux guitariste et d’un batteur. Les titres du premier album du groupe sont effectivement hyper longs – est-ce que tu la sens l’invitation au voyage ? – et pourtant on ne s’ennuie pas une seule minute. Le truc, simple, de L’Effondras c’est de laisser intensité et énergie couler à flots continus. En clair, au contraire de presque tous les groupes instrus, L’Effondras ne s’éternise pas sans raison et sait déterminer le temps juste pour poser ses ambiances ; et, une fois que le trio est lancé, rien ne semble pouvoir arrêter son sens de la dramaturgie, exhibition ascétique de vrais beaux moments fulgurants de blues densifié et de passages plus intimistes mais qui ne ressemblent jamais à du remplissage. En fait en écoutant ce disque je pense souvent au tableau La Tour De Babel, pourtant si foisonnant, peint par mon vieux pote Breughel vers 1560 : force, beauté, jaillissement, utopie, idéal, infinité… une liste à laquelle je rajoute volontiers blues urbain, mélancolie fracturée et incandescence rigoriste. De manière étonnante, ce premier album a également été publié avec l’aide du collectif Dur Et Doux, oui comme uKanDanZ. Ce disque est vraiment trop beau.

a2784270061_2Qu’est ce que je disais, déjà, au sujet des groupes instrumentaux qui pratiquent le rock aphone et à tiroirs ? Ah oui… en général c’est très chiant et très prétentieux. Mais, comme pour me faire mentir, voici un autre trio sans chant ou voix : Vi ! Vi ! Vi !. À la différence de L’Effondras, ces nordistes (ils viennent de Lille) jouent une musique moins préméditée, plus déambulatoire et plus improvisée. Le tout balaie un horizon allant du free au grind mais est surtout fortement teinté de kraut – à la fois celui de Faust et celui de Can – et, oserais-je même dire, est chargé d’un psychédélisme à la fois labyrinthique et noisy. Plutôt ardus, les trois titres du premier album sans titre de Vi ! Vi ! Vi ! n’en proposent pas moins une belle diversité, chacun ayant une couleur fortement identifiable, et ne montrent aucune trace d’affaiblissement malgré des timings compris entre 8 et 16 minutes. Le plus long d’entre eux, intitulé 2nd Rise, est également le plus difficile d’accès. Or il est devenu le titre du disque que j’écoute le plus parce qu’à plusieurs moments il me rappelle, d’une façon assez inexplicable, l’intro cauchemardesque d’une très vieille composition de Sonic Youth, Justice Is Might (ou peut-être que je confonds avec Satan Is Boring). Je rajouterais en plus un soupçon de Neubauten tendance bricolage à la scie à métaux sous l’escalier et une nouvelle surdose de Faust (oui, encore) pour obtenir une version allongée, déformée, triturée et détournée d’une bonne grosse névrose musicale. Pour les amateurs d’objets rares, je signale également que ce LP, publié entre autres par Tandori records en tirage limité et numéroté, est vraiment très beau avec sa pochette dépliable et sa sérigraphie de grande classe.

a3599140996_2Pour finir, un disque où ça chante pour de vrai. Publié par l’indispensable label Kythibong, Dolce Furia est le nom du nouvel EP de The Healthy Boy, un disque encore une fois enregistré avec la complicité des Badass Motherfuckers (des musiciens lyonnais mais avertis, dont quelques désormais ex-Zëro). Je n’ai jamais tari d’éloges au sujet de ce groupe – parce qu’un chanteur nantais illuminé de l’intérieur et associé à des mercenaires dévoués corps et âmes ça s’appelle un groupe – et ce n’est pas avec Dolce Furia que je vais m’arrêter. The Healthy Boy c’est d’abord une voix, celle de Benjamin Nerot et sur The Rule (chanson qui rappelle Zëro, justement), il s’amuse à nous surprendre, utilisant un registre moins caverneux et jouant subtilement sur le pathos. Un EP c’est toujours trop court et donc forcément frustrant mais Dolce Furia est un bon concentré de l’étendu du talent de The Healthy Boy & The Badass Motherfuckers, entre berceuse de crooner insomniaque (le superbe Out Of My Way Guilt !), rockerie féline (Down Below) et balade de caviste country (cold Blood, c’est le titre que j’aime le moins). Alors attention : la prochaine fois je veux un album entier, motherfuckers.

 

Hazam.