Blackthread

Je ne vais pas vous faire le coup du secret le mieux gardé de Lyon et agglomération voire France entière (même si j’en ai vraiment très envie) mais il me parait évident que BLACKTHREAD , projet solo du musicien Pierre Georges Desenfant, mérite largement plus d’attention qu’il n’en a récoltée jusqu’à présent. Ce jeune-homme au regard clair et aux grandes mains toujours un peu nouées n’est pas vraiment un inconnu : certain(e)s se souviendront d’avoir croisé son chemin lorsqu’il jouait avec Crush On Mary puis lorsqu’il était le bassiste/chanteur du regretté duo One Second Riot. Je pourrais peut-être me passer d’énumérer son curriculum-vitae, à une seule exception près : s’il est vrai que Blackthread s’éloigne considérablement voire totalement du noise-rock arty et racé de One Second Riot, on peut écouter sur l’unique album du duo (paru en 2008 chez Music Fear Satan) une composition assez énigmatique portant le nom de « Brautigan ». Une composition qualifiée ici d’« énigmatique » parce que son caractère beaucoup plus ambient que le reste de l’album dénotait aux oreilles de l’amateur de fureur sonique et autres débordements musicaux.

J’ai longtemps fait partie des sceptiques de « Brautigan  ». Aujourd’hui c’est l’un de mes titres préférés de l’album de One Second Riot et – venons-en aux faits – on trouve dans cette composition, de manière certes encore un peu diffuse, une bonne partie de ce que Blackthread mettra en œuvre juste un peu plus tard : une musique faite de nappes sonores, de très rares percussions, de lignes mélodiques simples mais envoutantes et d’un chant devant beaucoup au récitatif. Ce chant à la limite du parlé, véritable marque de fabrique de Blackthread, explique pourquoi le projet est souvent qualifié de « spoken words » : la voix est évidemment l’un des éléments principaux de Blackthread et les mots – que l’on devine très personnels voire intimes, sonnent avec une intensité à la fois délicate et convaincante et ce depuis le tout premier enregistrement du projet, un CDr gravé maison et emballé dans une jolie pochette faite à la main. Déjà, l’amour de l’objet et un disque posant les fondements d’une musique (et de textes) au particularisme évident.

BlackthreadDébut octobre Blackthread a enfin publié sur son propre label Fil Noir un nouvel enregistrement sous la forme d’un album vinyle. Oui, un vinyle, ce truc d’un autre temps qui permet toujours d’écouter de la musique dans des conditions optimales. Separating Day And Night – le titre est inspiré des paroles de « Me And The Devil » de Gil Scott-Heron – présente tout le chemin parcouru par Blackthread depuis ses débuts. La musique y est plus minimale que jamais – l’instrumentation générale ne s’embarrasse jamais de techniques superflues d’empilement ou d’agrégation – pourtant tout est d’une intensité pas loin d’être bouleversante. Très narrative du fait de la position définitivement centrale de la voix, la musique de Blackthread trouve toujours un équilibre quasi parfait entre tension et libération. Si l’acte de créer trouve sa justification dans le besoin de sublimation, l’expression délicatement transcendée qu’offre Separating Day And Night dévoile au fur et à mesure des écoutes des trésors de profondeurs cristallines.

Cette musique, d’apparence toute petite, s’ouvre en fait sur des espaces toujours plus vastes où la multiplication des échos se fait envoutante. C’est peu dire que Separating Day And Night est un disque très personnel mais qu’en même temps voilà un disque que l’auditeur peut s’approprier par et pour lui-même. Une façon également pour l’auditeur de reconnaitre – et sans se tromper – toute l’importance d’une musique.
 Les huit compositions de Separating Day And Night ont été enregistrées au studio PWL à Lyon par le magicien de l’analogique Christophe Chavanon (qui depuis a déménagé son studio en Bretagne et l’a rebaptisé du nom de Kerwax).

BlackthreadLes amoureux du beau son reconnaitront là un gage de qualité évident alors que les autres découvriront un disque doté d’une chaleur inestimable et doucement magnétique. La musique de Blackthread est peut-être triste et mélancolique (on n’a pas dit dépressive) mais, telle une flamme de bougie parfois vacillante, elle vous éclaire discrètement et vous émeut de toute sa singularité : le rendu sonore est aussi pointilliste que substantiel, chaque détail compte, chaque boucle ou sample est à sa place et résonne avec tout le contour nécessaire. Separating Day And Night alterne alors le chaud et le froid, rassemble puis disperse d’un souffle une flopée de sentiments, ces petites choses forcément grandes. L’un des plus beaux disques de cette année 2013.

Pour les lyonnais Separating Day And Night est disponible auprès des disquaires locaux survivants ( Dangerhouse et Sofa ) mais aussi au Sonic où Pierre travaille d’ordinaire en tant que régisseur son ; pour tous les autres, ils peuvent se procurer le disque en le commandant via la page Bandcamp de Blackthread.

 

Hazam.

 

Blackthread – Separating Day And Night :

One Second Riot – Brautigan :