J’ai failli commencer cet article par un peu de provocation adolescente et facile, quelle chose comme : est-ce que tu veux voir ma bite ? OK, je ne l’ai pas fait. Ou presque. Et ne prends donc pas cet air offusqué parce que si ça se trouve, toi aussi tu en as une. Et puis une bite, tout le monde sait ce que c’est, comme tout le monde sait ce qu’est une chatte. D’ailleurs, si j’avais été une femme, j’aurais pu commencer cet article en écrivant est-ce que tu veux voir ma chatte ? et j’aurais sûrement récolté, en plus de ta réprobation de bien-pensant, ce supplément de mépris que tu réserves aux femmes dès lors que tu les soupçonnes d’être des putes ou des salopes.

Mais trêve de bavardages. L’autre jour, en te baladant place Vendôme, à Paris, tu es tombé nez à nez avec une œuvre d’art contemporain imaginé par l’américain Paul McCarthy. Un truc assez moche, je te le concède : un arbre géant et stylisé, en plastique vert gonflable et posé en plein milieu d’un endroit tout aussi moche, centre névralgique de la joaillerie et du luxe indécent pour milliardaires transnationaux. L’idée m’a fait sourire, même si l’œuvre en question, installée là à l’occasion de la Foire International d’Art Contemporain, relève à la fois de la marchandisation de la création et de la politique de l’évènementiel qui à Paris comme dans les autres grandes villes masque péniblement le vide des ambitions et le manque d’imagination des acteurs culturels installés. Vive l’underground.

Seulement, là où naïvement je ne voyais qu’un étron artistique et un coup médiatique de plus, toi tu n’as vu qu’un sextoy anal et surtout une insulte à la France forte et chrétienne. Tu n’as même pas dégainé l’argument de l’inutile ou de l’inesthétique – pour ne pas prendre le risque d’une controverse qui n’aurait rien résolu parce que sujet aux interprétations de la subjectivité – mais tu as d’emblée bloqué le débat sur le terrain inviolable de ta morale tout en choisissant les arguments les plus rances et les plus réactionnaires qui soient : l’œuvre en question serait hautement outrageuse parce que reprenant, donc, la forme d’un plug anal, cet instrument conçu pour être enfilé dans les trous du cul afin d’en tirer, si je puis dire, un plaisir charnel et personnel fulgurant.

L’éternel argument de la pornographie et, pendant qu’on y est, un discours mâtiné en sous-main d’une couche d’homophobie stygmatisante, puisque il est de notoriété publique que la sodomie est principalement une déviance sexuelle pour homos mâles qui eux même souffriraient d’une maladie – génétique ou mentale, il y a encore incertitude à ce sujet – qu’il faut combattre. Je m’étonne malgré tout que tu aies d’emblée reconnu un plug anal et que tu connaisses son usage, mais peut-être la définition de cet objet de luxure t’a-t-elle été soufflée par les mêmes idéologues qui t’avaient expliqué au printemps dernier que les pédés et les gouines n’ont pas le droit de se marier ni d’avoir d’enfants et que la seule famille qui compte c’est celle homologuée par « Dieu » et ses représentants autoproclamés sur terre.


Il est vrai aussi que McCarthy n’en est pas à son coup d’essai. Je me rappelle de son hilarant Santa Klaus (en français : le Père Noël) exposé à Rotterdam et tenant à la main un gode plus que maousse. Ou de ces truies géantes (et gonflables !) dont l’une présentait un anus dilaté de premier choix. Douce perversion, à la fois kitsch et grotesque, l’humour faisant le reste, même si je trouve que les travaux de l’américain étaient bien plus intéressant dans les années 70 – l’arbre vert de la place Vendôme sentant à juste titre le sapin, l’œuvre d’un faiseur. À propos de sapin et de Santa Klaus, je te signale que dans deux mois ce sera noël et qu’à cette occasion toutes nos belles cités et presque toutes nos maisons seront pourvues de sapins décorés de guirlandes et de boules. Or il n’y a rien de plus sexuellement explicite que ces ornements festifs, lesquels me font toujours penser aux chapelets de boules chinoises de taille croissante que les esthètes du cul s’enfilent de la même façon qu’un plug anal, avant de les retirer d’un coup sec. La débauche à son meilleur – mais toi, le petit pourfendeur de la grande décadence, tu ne vas quand même pas laisser nos enfants en présence d’une telle ignominie, hein ?

Mais j’allais oublier. La « culture » ça peut aussi être ça : ce jeudi 23 octobre le [kraspek mysik] – 20 montée Saint Sébastien, Lyon 1er – accueillera un chouette concert dans ses locaux tout juste rajeunis après d’importants travaux. Mosca Violenta est un trio de jazz noise – saxophone, basse électrique et batterie – qui aime jouer la carte de l’ampleur et de l’épaisseur rythmique. Auparavant le groupe s’appelait Les Yeux De La Tête mais a judicieusement préféré changer de nom afin de ne pas être confondu avec un groupe post-alterno de chanson française à l’appellation quasi similaire ; Mosca Violenta était donc à l’origine le titre du troisième album du groupe, un album publié par le label montpelliérain Head records et qui défend une vision aussi hargneuse que grasse d’un jazz musclé et monobloc. En première partie le jeune éphèbe Cyril M. servira de caution sexuelle à cette soirée : croisement morphologique et attirant entre Joey Ramone et Keiji Haino, ce talentueux multi-instrumentiste navigue généralement sur les territoires musicaux du second et est hautement spécialiste en trépidations expérimentales.

 

Hazam.